Public bienveillant (1953) |
Au Lapin, il n'y a ni micro, ni scène. On est seul devant le public que, d'un geste, on peut toucher tant il est proche. Brassens était livide. Il posa son pied sur un tabouret, plaqua quelques accords sur sa guitare et chanta Le Petit cheval de Paul Fort. De sa moustache mouillée par la transpiration qui coulait sur son visage sortait une voix blanche, bredouillante, sans articulation, souffle Yves Mathieu comme s'il revivait la scène. Le texte était incompréhensible. Le trac qui paralyse y allait de toute sa cruauté. J'avais mal pour cet homme que je ne connaissais pas il y a deux heures. Il m'attendrissait. Le public percevait cette panique. Bon enfant, il applaudissait, encourageait. N'a-t-on pas plus besoins de bravos dans la vie, que de sifflets ?
Ce fut encore Le Gorille, Les Bancs publics, Brave Margot. Voilà, c'était terminé. (...)
Il persévérera deux semaines. parfois, quand venait le moment où il devait chanter, la salle se vidait : l'heure était trop tardive et et il était difficile d'inverser l'ordre de passage des artistes. À la fois triste et soulagé, Brassens partait en lançant son "À demain!" (...)
Un matin, vers deux heures, Brassens fit part à Paulo de sa décision : il renonçait à interpréter lui-même ses chansons. "Il m'est impossible de surmonter le trac... Devant le public, je perds tous mes moyens. Je crois que je ne suis pas fait pour ça. Tant pis, je ferai chanter mes chansons par d'autres.'"
Louis Nucéra Les contes du Lapin Agile
Remarquons que, vingt ans plus tard, le gars avait appris à se détendre et à se marrer.
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