Cet article est un abrégé du passionnant travail de J. Blot trouvé sur le site l'histgeobox.
Dès la déclaration de guerre, le 9 septembre 1939, la Troisième République interdit bals publics et dancings. Le 20 mai 1940, en pleine offensive allemande, Georges Mandel, le ministre de l'intérieur, ordonne par décret la fermeture des salles parisiennes. Étendue bientôt à l'ensemble du territoire, cette mesure est maintenue sous Vichy dans son ambition de régénération morale de la jeunesse. Dans le même temps, la plupart des autres divertissements restent tolérés: concerts, théâtre, cinéma, manifestations sportives. C'est donc avant tout la danse, tout du moins celle pratiquée par la jeunesse des deux sexes dans les bals qui subit les foudres des autorités vichyssoises.
Après s'être assuré le contrôle des institutions culturelles, laissées entre des mains françaises, les hiérarques nazis s'emploient à donner une image accommodante de l'occupant. Dans cette optique, Goebbels entend faire de Paris la capitale du divertissement dans l'Europe occupée et s'ingénie à recréer le "gai Paris". Cabarets, music-halls, cinémas, théâtres peuvent très vite ré-ouvrir.
Peu avant l'armistice, le chanteur Johnny Hess avait lancé en France la vogue du swing (de l'anglais to swing, balancer) dont le tempo tapageur, répétitif et excitant avait assuré le succès de titres tels que Je suis swing ou J'ai sauté la barrière, hop là. Les orchestres d'Alix Combelle, Fred Adison, Aimé Barelli ou le Hot Club de France mettent également à l'honneur cette musique originaire des États-Unis. Les concerts se multiplient, tandis que les horaires de diffusion d'émissions consacrées à cette musique augmentent fortement (de 3h50 en septembre 1940 à 35 h 20 en avril 1942 sur Radio-Paris).
Côté nazi : "Interdit de diffusion à la radio dès 1935, le jazz figurait en tête des genres proscrits (...). Fondée sur une conception manichéenne de l'art, la politique culturelle nazie opposait la tradition musicale issue du romantisme, censée exprimer la supériorité du peuple allemand, à la dégénérescence des musiques modernes et atonales, noires, juives et bolcheviques."
Or, la guerre modifie cet état de fait et le jazz fait son retour sur les ondes à partir de 1941. On ne parlait cependant plus de jazz, mais de "musique de danse accentuée rythmiquement"! Le genre est finalement promu au rang de propagande par Goebbels avec la promotion d'une formation comme Charlie and His Orchestra "qui chantait en anglais des textes antisémites sur des standards américains."
Aux États-Unis, les zazous étaient des "pachucos" |
Être
zazou, c'est surtout manifester un état d'esprit ("swing")
en contradiction avec celui de l'époque. La provocation, ici,
consiste d'abord à se faire remarquer, mais aussi à revendiquer une
américanophilie, une anglophilie, qui ne sont alors pas de mise.
Amateurs de jazz, les zazous s'inspirent des modes vestimentaires
américaines comme les grands carreaux du zoot
suits.
Les zazous portent les cheveux longs, bouffant sur le dessus de la
tête par opposition aux coiffures militaires, ils arborent des
vêtements trop longs à une période où le tissu est rationné. Les
zazous affichent une attitude "j'm'enfoutiste", insouciante
à l'égard des drames de la guerre, donc défiante aux yeux des
autorités vichyssoise. Ils parlent et chantent en franglais,
revendiquent le laisser-aller et l'oisiveté au moment même où la
Révolution nationale de Vichy prône la régénération de la
jeunesse française.
Pour
Vichy, le relèvement de la France passe par la régénération d'une
jeunesse, débarrassée de cet "esprit de jouissance" si
préjudiciable.Abel Bonnard propose aux "bons jeunes" de reconnaître les "mauvais", ces "pitres gouailleurs, prétentieusement avachis et raisonneurs, coquetterie débraillée, mollesse, nature pauvre et compliquée, plaisantins de mauvais aloi, incapables de gaieté et de sérieux, ils sont le dernier reste d'une société d'individus."
Le mode de vie des zazous, - qui adorent la musique noire, s'amusent dans des bars enfumés où on écoute du jazz - se situe donc aux antipodes du moralisme du régime de Vichy et de l'austérité de l'époque. Ils suscitent donc très vite l'exaspération. Aux yeux des autorités, le zazou symbolise le jeune Français perverti par la IIIe République, sans âme, lâche, efféminé, vaguement gaulliste, anglophile et enjuivé. Le zazou représente en somme l'envers de l'idéal pétainiste.
A la faveur de l'entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, puis de l'accession de Pierre Laval à la tête du gouvernement en avril 1942 et des revers militaires allemands, la propagande anti-swing s'amplifie et la pression sur les zazous se fait plus hargneuse. Le mouvement devient ainsi la bête noire des autorités. L'engouement pour le swing et la persistance du phénomène zazou démontrent surtout que l'endoctrinement idéologique voulu par le régime est un échec. La renaissance nationale tant espérée par le régime se trouve très affectée par le rejet généralisé de son éthique du travail, du désintéressement, de l'austérité, de la masculinité.
Les collaborationnistes, partisans de la victoire de l'Allemagne, s'en prennent alors avec hargne et un grande violence verbale aux zazous.
Une virulente campagne de presse anti-zazou s'ouvre à l'automne 1942. Lucien Rebatet dénonce "la vague immonde du swing, ce similihot, ce vulgaire straight, cette cochonnerie assaisonnant les blues avec du sirop de grenadine dans le but d'assouvir les fringales de trémoussements des pipelettes de la rue Soufflot."
Les collaborationnistes considèrent encore les zazous comme des tire-au-flan égoïstes, des "judéo-gaullistes". Le journaliste du Parizer Zeitung lance même: "Derrière le modèle américain et anglais du swing, c'est le juif qui se cache..."
Pour l'hebdomadaire Jeunesse, "il faut reconquérir le Quartier latin sur l'influence juive et l'imposture gaulliste." La Gerbe - qui porte décidément bien son nom - surenchérit:
"Que l'on ne s'y trompe pas. Nous ne sommes pas contre le swing, mais contre les swings. Le swing c'est encore du jazz, [...] du jazz décadent, sans doute, mais de la musique allègre. Les swings sont une race aigrie, qui naît à quinze ans avec des trépidations politiques stupides, un cœur de vieille trompette bouchée, qui veut singer le clairon de Déroulède." [La Gerbe, 4 juin 1942]
L'organe collaborationniste Au Pilori inaugure même une rubrique Art zazou. Au fil des mois, le ton se fait de plus en plus menaçant: "Le remède le plus pratique pour se débarrasser du zazou consiste soit avec un ciseau à lui couper la veste-pardessus, soit avec une tondeuse à lui enlever le toupet, ce qui non seulement le démoralise, mais encore le prive de tous moyens d'actions.
P. S.: puisque la jeunesse énergique paraît se rassembler sous l'étendard PPF, nous lui signalons spécialement cette chasse aux zazous." [Au Pilori, juin 1942]
L'appel est entendu. Aux mots succèdent les coups. Une intense répression s'abat sur les "petits swing" dont les exécutants se recrutent au sein des Jeunesses Populaires Françaises (JPF) de Jacques Doriot ou du du Rassemblement National Populaire de Marcel Déat. Leurs membres organisent des rafles dans les bars, tabassent, tondent leurs adversaires. 450 zazous sont même arrêtés par la police, conduits au camp de Drancy, puis relâchés et envoyés à la campagne pour travailler aux champs.
Quelques jeunes gens qui ont l'idée d'arborer une étoile jaune avec le mot "Swing" ou "Zazou" en gothique pour ridiculiser les mesures antisémites seront même déportés!
Il serait abusif de compter les zazous dans les rangs de la résistance, leur comportement est d'abord une rébellion contre l'autorité parentale. Le soutien aux Alliés ou à de Gaulle n'est le fait que de quelques uns. Pour Ludivine Bantigny, "ces jeunes gens sont "des révoltés, refusant d'être étiquetés selon les normes d'identité prônées par les autorités. Ils minent de l'intérieur la morale en vigueur en exhibant ses ridicules et ses aigreurs. Au fond, les zazous sont des "déserteurs du monde", de ce monde codifié par des normes conservatrices et fascistes que, par leur refus même de cet ordre, ils entendent bien condamner." (Bantigny p 2065)
La répression et les rafles ne parvinrent pas à endiguer le phénomène zazou. C'est plutôt l'instauration du STO qui entraîne leur disparition. La Libération sonne le glas du mouvement lorsque déboulent à St-Germain-des-Près les existentialistes ou les lettristes.
Raymond Legrand, Johnny Hess seront inquiétés pour avoir continué leur activité en chantant notamment sur Radio Paris.
Si Vichy "découvrait" les zazous, les autorités nazies connaissaient déjà les "swing kids" allemands qu'ils avaient durement réprimé dès la fin des années 30. Ce fut par contre une autre paire de manche avec les "pirates edelweiss"... mais bon, on quitte là l'hexagone (même si on reste dans le sujet).
RépondreSupprimerJustement, un petit article sur cette belle jeunesse allemande ?
RépondreSupprimerOn est preneurs.
Jules
Il n'est pas dit que je ne sois pas tenté (à défaut d'être patenté), ne serait-ce qu'au titre de l'échange futur de bons procédés... Mais justement, cela risque de n'être qu'en un futur sinon incertain, du moins lointain. En effet, la liste de mes papiers en attente d'écriture hors délais ressemble à un inventaire à la Prévert: jujitsu féministe, kung-fu syndicaliste, blaxploitation & épouvante en reggae, troquets de Paris, chanteur-danseur vampire camerounais, porno 3D,... Ce, au risque de tout mélanger ! Mais oui, j'y pense, promis.
SupprimerMince alors, j'ignorais que la chanson de la grande Brigitte était une reprise !
RépondreSupprimerSinon, l'interdiction de danser n'était pas chose nouvelle dans notre doulce France, comme on le voit à la lecture de ce petit bijou…
Mais en quoi l'existence des bals pouvait sembler une menace en 1940, c'est ce que j'ai du mal à piger !
un oubli?
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=F_1QONu5aQE
Sacré Georges ! Je ne connaissais point cette version.
SupprimerMerci Marcel.
Quant à l'interdiction, on ne va quand même pas laisser des jeunes ou moins jeunes gens se frotter alors que c'est cet esprit de jouissance du front popu qui nous a fait perdre la guerre (et surtout pas l'incompétence de l'état-major, le sous équipement, la préférence de pas mal d'officiers pour Hitler plutôt que Blum ou Daladier, une stratégie foireuse, etc.)
Dans le billet, on renvoie au lien "est maintenue" à l'émission sur les bals clandestins.
J
"Le remède le plus pratique pour se débarrasser du zazou consiste [...] avec une tondeuse à lui enlever le toupet, ce qui non seulement le démoralise, mais encore le prive de tous moyens d'actions." Est-ce une manière discrète mais néanmoins confraternelle de me remettre sur la piste de Yul Brynner ? Il semble que ce traitement n'ait absolument pas inhibé ses moyens d'action par la suite, n'en déplaise aux piloristes. Grand merci !
RépondreSupprimerGod shave Yul Brynner.
SupprimerJ
Bref, on se retrouvait au pilori pour la pilosité…
RépondreSupprimerLes zazous : La rebelle Brigitte Fontaine en fit une reprise intéressante ( avec "M")....
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=86MnpJ40Kwk