En Bulgarie, c'était vraiment quelque chose. (...)
J'étais vraiment dans un mauvais jour - je ne cherche pas à m'excuser, il n'y a pas d'excuses, il faut toujours faire de son mieux "vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage" etc... Mais le métier, c'était du bois, mon vieux, du bois mort, j'étais tout seul, quoi.
Et huit jours après, deux Bulgares du genre vachards à moustache m'abordent dans la rue. (...) On entre dans un café, on prend place et ils m'exhibent leurs photos. La honte me monte au front. J'étais minable, vraiment minable. Et l'angle sous lequel ces salauds-là avaient pris la photo n'arrangeait pas les choses (...)
J'étais humilié. J'avais trente ans, c'était mon premier poste diplomatique, je représentais la France...Et ça ! Si j'avais su que j'avais des témoins, que j'allais passer à la postérité en tant que représentant de la France à l'étranger, j'aurais fait quelque chose de formidable, c'était pour mon pays, après tout, il y avait une réputation millénaire à soutenir, Jeanne d'Arc, Descartes, Pascal, tout ça. Et la môme ne faisait rien d'historique non plus. Sur la photo, on voyait son visage, elle se tenait là, à quatre pattes, la tête légèrement tournée vers moi avec l'air de se demander : "Mais qu'est ce qu'il fait, celui-là?" Quant à moi on aurait dit que je poussais une charrette.(...)
J'ai dit aux deux types : "Écoutez, c'est épouvantable. Je suis confus." Ils étaient contents. Il y en avait un qui se caressait la moustache d'un air méditatif et il ne se doutait même pas que je faisais le plus gros effort de ma vie pour ne pas lui cracher à la gueule. (...)
Finalement, le plus sévère des deux flicards me dit :"Avec un peu de bonne volonté de part et d'autre, on peut toujours arranger les choses." Je débordais de gratitude. "Formidable...Merci, merci...Tout ce que je vous demande, c'est de me donner encore une chance... Convoquer cette jeune personne ou, de préférence une autre un peu plus stimulante...Tenez, la fille de votre chef, le ministre de l'Intérieur, j'ai toujours eu envie de me la taper et si vous pouviez m'arranger ça...On déchire ces photos déshonorantes et on recommence. Je vous promet de faire beaucoup mieux. Je vous promet de faire glorieux, surtout si vous me permettez de mettre le drapeau tricolore dans un coin, ça m'a toujours fait un effet inouï, le drapeau tricolore, à ces moments-là, c'est même pour ça que je suis devenu gaulliste. (...) Si vous ne le faites pas pour moi, faites-le pour Rabelais, pour Madelon, pour Brantôme et pour Maurice Thorez." (...)
Les deux connards communistes me regardaient comme s'ils étaient tombés sur un antéchrist. Tout juste s'ils ne réclamaient pas au garçon de l'eau bénite. Je n'ai jamais pu blairer les puritains, jamais. Je leur sortais tout ça entre les dents, en les regardant devenir de plus en plus verts et avec une de ces envies de leur danser dessus, mon ami....
Romain Gary (La nuit sera calme)
Ah ! C'est donc ça la fameuse "charrette bulgare". Assez classique en somme. Comme écrivait le flic, poète à ses heures, dans son rapport sur le narrateur s'apprêtant à besogner la môme aux larges et généreuses hanches : "Il baissa son pantalon et mit la jarre".
RépondreSupprimerTiens. Je connaissais pas ça.
RépondreSupprimerQuelle est la source ?
J
La source de quoi ? Y a un calembour ?
RépondreSupprimerBen de l'anecdote par le flic poète à ses heures...
SupprimerC'est qui ?
C'est moi qui fais le zouave (après le cosaque et le carliste ;-)). C'est juste un mauvais calembour, ça calme mes anxiétés : "et mit la jarre" = Emile Ajar, pseudonyme de Romain Gary... Désolé... :-D Cela dit plus sérieusement, cet extrait est excellent d'humour. La réaction du narrateur face aux flics est tellement inattendue que je me suis bien bidonné. Ca me donne furieusement envie de lire Romain Gary (déjà prévu de longue date dans mon programme...).
RépondreSupprimerA bientôt d'écouter votre ordonnance radiophonique de ce soir !
Je ne suis pas certain de bien saisir. Il me manque du contexte. Gary se pastiche lui-même? Ça m'a l'air d'un chic type.
RépondreSupprimerSalut François. Il me semble que Gary fait semblant de raconter sa propre expérience de diplomate, mais qu'en fait c'est une fiction, il invente ou en tout cas brode un max... Mais je n'ai pas lu le livre.
RépondreSupprimerLa nuit sera calme (expression des pilotes de l'escadrille de Romain Gary lors des missions de nuit) est un livre d'entretien (faux, bien entendu)de l'infernal Roman Kacew.
RépondreSupprimerUn chic type, assurèment. Et jamais vulgaire.
j