Un petit détour par le bayou (1)
Cette série vous proposera de découvrir quelques titres et interprètes marquants de la musique cadienne. Pour l'inaugurer, nous vous proposons aujourd'hui une présentation succincte mais bien foutue qu'on a piqué à Bayou Prod. Et comme on vous sait un tantinet feignasse comme nozigues, Lectrice, Lecteur, Hannibal (copyright Le Moine Bleu ), nous vous avons agrémenté la lecture de quelques vidéos fort distrayantes que l'on doit à un certain St Brice's Day, notre archiviste préféré du tube.
La Musique cajun
Arrivés en Louisiane dans un dénuement quasi
total *, les premiers immigrants Acadiens n'ont évidemment pas dans
leurs maigres bagages d'instruments de musique, trop coûteux et trop
fragiles pour supporter l'exode.
Dans un premier temps, c'est donc a capella qu'ils
pratiquent la musique, qu'il s'agisse des chants traditionnels,
berceuses et chants à boire, ou des hymnes religieux du dimanche.
Les danses sont rythmées à la voix, accompagnées de frappes des
mains et de battements de pieds. A partir de 1780, des violons sont
signalés dans des inventaires et il est probable qu'à cette époque,
des veillées ont lieu, où l'on danse au son de cet instrument,
aussi bien que l'on chante et que l'on conte des histoires. Dans la
deuxième moitié du 19ème siècle apparaissent les fais-do-do, des
bals où les familles se réunissent au complet chez l'un ou chez
l'autre, les jeunes enfants ou les bébés étant mis à dormir
(faire do do) à l'écart, sous la surveillance d'une aïeule experte
en berceuses et…trop vieille pour danser !… Les danses pratiquées
à l'époque sont les rondes et contredanses, les reels, gigues,
polkas, mazurkas, cotillons, galops, les one-steps et two-steps et la
valse.
C'est vers 1870 qu'intervient la première grande
révolution dans la musique cajun avec l'introduction par les
immigrants allemands de l'accordéon diatonique (bien qu'il semble
que ce soit des noirs qui l'ait adopté en premier dès les années
1850, par l'intermédiaire de missionnaires blancs). Plus puissant
que le violon, plus robuste et d'un usage plus facile, l'accordéon
fait rapidement de nouveaux adeptes, mais, pour des raisons de
tonalités, fait dans un premier temps mauvais ménage avec le
violon. Ce n'est qu'après la Première Guerre mondiale que
l'importation de nouveaux types d'accordéons accordés en mi ou en
fa permettra des duos avec le violon, ce dernier se trouvant alors
relégué dans un simple rôle d'accompagnement.
Les années 1900 voient également l'apparition dans
la musique cajun de la guitare espagnole, largement répandue au
Mexique et au Texas, avec laquelle les premiers à se familiariser
seront des soldats partis se battre à Cuba. Dans les années
1900-1920, la musique cajun connaît sa seconde révolution,
conséquence de la première : sous l'influence grandissante de
l'accordéon, le répertoire se limite dorénavant presque
exclusivement aux valses et two-steps. On commence alors à mettre
des paroles sur la musique de danse et des musiques sur les ballades
autrefois a capella. Le triangle métallique, fabriqué à partir de
pièces détachées de machines agricoles, devient un instrument
rythmique à part entière de l'orchestre cajun. Non pourvus de
micros, les chanteurs adoptent une voix criarde et aiguë pour
couvrir le bruit des instruments et des danseurs. C'est à cette
époque que l'on commence à construire de grandes salles de bals
privées et que le fais-do-do perd peu à peu son statut de réunion
strictement familiale. Le 27 avril 1928, Joseph Falcon
(chant-accordéon) et son épouse Cléoma Falcon Bréaux ** (guitare)
enregistrent pour Columbia le premier 78 tours de musique cajun à la
Nouvelle-Orléans. Ce disque se vend tellement bien que Falcon, né
dans une modeste famille de fermiers, peut abandonner son travail à
la ferme paternelle et vivre de ses cachets de musicien.
C'est au début des années 30 que la musique cajun
va connaître sa troisième révolution. D'une part, le président
Roosevelt, qui prône un certain interventionnisme sur la scène
internationale, a besoin d'une nation unie et souhaite de ce fait
éradiquer les particularismes culturels. Par ailleurs, la crise de
1929 ayant durement frappé la Louisiane, un vaste programme de
modernisation y est réalisé, comprenant des constructions
d'autoroutes, de ponts, de digues, d'usines, de ports et de
raffineries. D'autre part, suite à la découverte de pétrole en
Louisiane dès 1901, de nombreux yankees sont venus s'installer en
Louisiane. Ces blancs arrogants et racistes, souvent originaires des
Etats voisins, strictement anglophones, ne souhaitent pas s'intégrer
à la culture cajun. Les cajuns, eux, également désireux
d'améliorer leur niveau de vie grâce au pétrole, se voient
progressivement contraints d'adopter la langue anglaise pour avoir
accès au travail.
Désormais citadins, propriétaires de maisons
modernes, de voitures, de réfrigérateurs et de postes de radio, les
cajuns et leur monoculture multicentenaire se voient envahis par la
culture des autres Etats, notamment du Texas et de sa musique, le
Western Swing, un mélange de Swing et de Country Music, qui va
rapidement devenir à la mode dans le sud-ouest de la Louisiane. Cette époque voit l'accordéon décliner rapidement au profit du
violon et l'apparition de nombreux orchestres à cordes intégrant
une batterie. La quatrième période marquante de la musique cajun
commence dans l'immédiat après-guerre. Suite à la 2ème Guerre
mondiale, les GI's ont soif d'amusement et ont besoin de retrouver
leurs racines et la musique de leur enfance. Des bals et des fêtes
sont à nouveau organisés et les accordéons ressortent rapidement
des placards. Dès lors, les jours du Western Swing sont comptés.
Par ailleurs, l'Amérique ayant à cette époque définitivement
basculé dans la modernité, la télévision entre massivement dans
les foyers US, au détriment des grands réseaux radiophoniques, qui
laissent ainsi le champ libre aux petites radios de proximité,
lesquelles réalisent vite qu'il peut être intéressant de séduire
les communautés ethniques en programmant leur musique de
prédilection. Les artistes locaux se mettent alors à enregistrer à
profusion et une multitude de maisons de disques voient le jour en
Louisiane. C'est aussi à cette époque que les Créoles noirs créent
le style Zydeco en intégrant à la musique cajun des accents de
blues et de jazz ***.
Dans le même temps, de jeunes musiciens cajuns,
désireux de s'ouvrir à un auditoire plus vaste et à un succès de
plus grande ampleur, inventent le swamp-pop, un mélange de rock n'
roll, de rockabilly et de rythm & blues, chanté le plus souvent
en anglais sur des thèmes typiquement cajuns. Ce style est encore
très prisé de nos jours.
Les années soixante et leur vague de rock n' roll
britannique, conduite par les Beatles, portent un rude coup au
swamp-pop et aux autres genres en général. Paradoxalement, la
musique cajun traditionnelle se sort plutôt bien de cette période :
des musicologues venus effectuer des collectages en Louisiane
poussent les organisateurs de festivals américains à programmer des
artistes cajuns.
C'est ainsi que Dewey Balfa se retrouve au festival
de Newport en 1964, en compagnie de Joan Baez et Bob Dylan. C'est le
signal de départ d'une nouvelle période pour la musique cajun.
A partir de 1970, le rock n' roll perd de sa
popularité un peu partout dans le monde. Inversement, une forte
demande apparaît pour un retour aux musiques ethniques. La musique
cajun n'échappe pas à ce mouvement et toute une génération
redécouvre avec bonheur la musique de ses grands-parents, sous la
houlette de jeunes musiciens comme Zachary Richard.
Vers 1980 commence la dernière étape en date de la
musique cajun, celle qui va finalement synthétiser près de 300 ans
d'histoire, d'influences, d'assimilations et de métissage musical.
La musique cajun prend alors de multiples directions et se teinte
d'accents tantôt country, tantôt rock, reggae, rap, caraïbes,
world, tex-mex ou jazz.
Aujourd'hui, en Louisiane, des formations hyper
traditionnelles côtoient des groupes rock dotés de solides sections
basse-batterie. Toutes se réclament de la tradition francophone et
cohabitent sans trop de problèmes. Finalement, la musique cajun est
à l'image du peuple qui l'a créée : opiniâtre, dotée d'une
étonnante faculté d'adaptation aux aléas de l'histoire et
d'assimilation des autres cultures, mais surtout, fermement décidée
à survivre, quoi qu'il arrive …
Notes de l'Herbe :
* Suite au Grand Dérangement .
Notes de l'Herbe :
* Suite au Grand Dérangement .
** Nous reviendrons sur eux dans un prochain post...
*** Idem pour le Zydeco.
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