lundi 31 mars 2025

Communication breakdown : IA et traduction


 Après avoir critiqué Wim Wenders et le jour même où on apprend la disparition d'Yves Boisset, dont les films n'ont finalement pas si mal vieillis (revoyez RAS, Dupont Lajoie, Allons Zenfants, Un condé ou Le juge fayard pour commencer) intéressons-nous au cas d'un autre indécrottable gauchiste, Ken Loach qui a manifesté une constance impeccable dans son propos et commis de nombreux films tout à fait remarquables (la liste serait là trop longue).
Certes, sa dernière oeuvre à ce jour, The Old Oak (2023) n'est certes pas dans nos cinq préférés mais on l'a trouvé mieux qu'honorable. 
Résumons l'argument : un bled du côté de Durham, au sud de Newcastle, ravagé par la fermeture des mines suite à l'écrasement des prolos de 1984-1985 et où le dernier lieu public ouvert est le pub donnant le titre du film, reçoit sans crier gare un groupe de réfugiés syriens alors en plaine débâcle.
Évidemment, cela va créer quelques tensions au sein d'une communauté délaissée qui voit par ailleurs ses maisons abandonnées bradées à des fonds de pensions "qui ne les ont même pas visitées et vont les louer à des crétins" (dixit). C'est sans compter quelques hommes et femmes pétris d'humanités et de valeurs désuètes telles l'accueil ou la solidarité qui vont essayer de recoller les morceaux entre les deux groupes : indigènes plus ou moins vernaculaires (bien des mineurs venaient d'ailleurs) et Syriens largués au milieu du froid.
Le DVD du film comprenant les scènes écartées au montage, on a découvert avec jubilation cette scène (dont on pige pas pourquoi elle fut coupée) : tentative de dialogue sur chantier entre plombiers de diverses origines qui passe par le traducteur automatique de l'IA.
Sauf que dès qu'on a l'accent working class et, circonstance aggravante, de la région de la Tyne, le pauvre logiciel est complètement largué.
Faut donc prendre des mesures radicales mais efficaces. 


Ce qui nous amène à nous demander ce que ferait ces fuckin' traducteurs automatiques avec non seulement la plupart des textes plus ou moins poétiques mais talentueux, ça c'est évident, mais plus simplement avec l'accent anglais de notre Adriano Celentano trop longtemps absent de ce blogue.


Et puisqu'on en est au cas de notre latin rocker, que ferait un logiciel à la con du cas de yaourt évoqué il y a quelque temps et repris ici par un certain Mike Reid en 1974, qui n'a pas osé pousser le bouchon jusqu'au bout.

mercredi 26 mars 2025

Trois minutes de bonheur


Osons enfin l'avouer en société, malgré toute la gloire qu'il généra, le film Les Ailes du désir (1987) de Wim Wenders nous a toujours paru être un pensum laborieux et boursouflé, générateur d'un implacable ennui, même pas sauvé par la présence du génial Peter "Columbo" Falk, bien plus à sa place chez Cassavetes.
Ce qui n'empêche pas d'avoir un certain respect pour le boulot et la carrière d'un réalisateur qui n'aurait peut-être pas dû, pour l'occasion laissé transpirer une empreinte catholique quelque peu pénible (comme dans Paris Texas, tiens).
Néanmoins, il existe trois minutes de joie* justifiant à elles seules qu'on s'enquille les 110 minutes qui les précédent. Je fais, bien entendu allusion au concert des Bad Seeds avec Nick Cave où le groupe (période Kid Congo, mazette !) y interprète les chansons The Carny, présente sur le quatrième album du groupe Your Funeral… My Trial (1986), et From Her to Eternity, issue du premier éponyme album du groupe (1984).
Et comme dernièrement, les occasions de se faire plaisir sont exceptionnelles, autant se rafraichir les yeux et les oreilles.


* Un peu comme la séquence avec les Yarbirds dans le très surestimé Blow up d'Antonioni (1967).

Ils étaient jeunes et pas très larges d'épaule


mercredi 12 mars 2025

Manu got his gun

 


Parfois, une citation vaut mieux qu'un long argumentaire :

« Si les haines, les mensonges de guerre, les instincts de la brute lâchée sous le casque et le masque déforment à nouveau le visage humain, il nous appartient de n’y point céder. De ne consentir à aucun aveuglement. De n’avoir en les pires jours que le souci essentiel de sauver ce que tout homme peut sauver par ses propres moyens de l’intelligence, de la dignité, de la vérité, de la solidarité des hommes… D’opposer un calme refus aux abdications de la pensée, aux fureurs fratricides, à la vaste conjuration des profiteurs de catastrophes. Cette ferme décision, si elle ne suffit pas à nous sauver du canon, nous dégage du moins de la complicité avec les seigneurs de la guerre. »
Victor Serge, 1938

Allez, une note optimiste pour la route



dimanche 2 mars 2025

Beyond the valley of the Dolls

 

David Johansen, Dee Dee Ramone, AlanVega, Max's Kansas City

Johnny Thunders 1952-1991
Jerry Nolan 1951-1992
Arthur Kane 1949-2004
Syl Sylvain 1951-2021
David Johansen 1950-2025

Ce coup là, c'est terminé.
Les revoilà tels quels en 1973 (commentaire du présentateur : "punk rock ! "


David & Johnny





vendredi 28 février 2025

Retour vers le futur (Travail)

 


Je n'avais jamais mangé
De langouste ni de crabe royal du Kamtchaka
(...)
Six jours sur sept de travail depuis trois semaines
à des horaires de nuit
Je m'estime dans mon droit de manger à ma faim
sur mon lieu de travail
Et d'emporter ce que mes poches peuvent à la maison
(...) 
J'ai beau n'être qu'un petit ouvrier
c'est bon
J'ai compris la technique
J'ai vu les horaires les planques et les moyens de sortir les trucs

Deux langoustes donc
Juste faites en rentrant hier avec un riz basmati
tiède et de la mayo maison
C'est pas mal la langouste

Je vole rien
C'est rien que de la réappropriation ouvrière
Tout le monde le fait

Joseph Ponthus À la ligne 
 

L'indispensable Béranger

 

Et une adaptation de l'auteur cité par Michel Cloup

mardi 18 février 2025

Retour vers le futur (famille)

 


Ma mère se fichait un fichu de laine sur les épaules et nous partions à la recherche du volage, de marchande de vin* en marchand de vin. À notre vue, incarnation réussie de la désolation, il devenait hargneux. Les appels à ses sentiments profonds, la douceur insistante: "Viens donc, mon p'tit homme..." restaient sans effet visible. Il redressait sa courte taille et renâclait de sa voix transformée, craquante.
Le ton du colloque changeait, montant du blanc de la pâleur au rouge du courroux. Elle lui demandait s'il n'avait pas honte de se soûler la gueule pendant que son pauvre gosse crevait de faim.
L'ingénieux chantage. 
Moi, le pauvre gosse, j'étais passé ouvertement dans le camp maternel et mes petits yeux se chargeaient de blâme. (...)
Tout piteux, mon père bafouillait des "ben alors" ou des "mince alors". Il n'y comprenait rien et nous rentrions en cortège.
La revanche se jouait à la maison. Ma mère recevait des coups durs dans sa belle figure. Son p'tit homme, raffermi, lui lançait, en faisant cela, des mots orduriers
, des mots courts qui, après avoir servi d'insulte, venaient se placer dans la mémoire.
La chambre était traversée de clameurs.
Calmé ou lassé, mon père sortait. Il s'en allait gueuler dans les rues voisines, tout seul, le feu au ventre. On dit de ces gens qu'ils ont le vin mauvais.
Maman, les chichis défaits et pendants, geignait longuement, ployée contre le bois du lit.
- Ce n'est rien mon petit, disait-elle en tamponnant son visage bouffi et rougi. Elle me souriait et découvrait des gencives saignantes, presque édentées sur le devant.
Tous les jours, dans notre logement, il y eut des disputes, des luttes. La rue suivait l'affaire avec intérêt et les commerçants me considéraient d'un oeil compatissant.
J'étais devenu l'enfant-martyr du quartier. 
Henri Calet La belle lurette.


* À ceusses prompts à dénoncer une culture de boomer, prière de remplacer "marchand de vin" par dealer, le jaja par la coke et "la rue" par les réseaux sociaux. Puisqu'il faut tout préciser. 

jeudi 13 février 2025

Retour vers le futur (Patrie)

 

Gosses tziganes, Rivesaltes, 1941

J'ai trouvé asile en France, reprit Papski. De grandes écoles m'y ont ouvert leurs portes, des confrères, inconnus de la veille, leurs bras. Pourtant, non, je n'aime pas ce pays.
Peut-être est-ce qu'à mes yeux d'astronome il s'étale trop complaisamment sous son maigre ciel cartésien. Peut-être est-ce sa gloriole de coquette sur le tard. Ou le ressentiment peut-être, parce que sous le faux nez d'un humanisme de façade la xénophobie s'y donne à coeur joie. 
Vous voyez, je ne sais pas au juste. toujours est-il que, écoles et confrères nonobstant, j'ai été raflé à l'égal de milliers et de milliers de mes semblables. Puis, avec la débâcle, les camps français sont devenus des antichambres de la mort. 

Jean Malaquais. Planète sans visa.