Ma mère se fichait un fichu de laine sur les épaules et nous partions à la recherche du volage, de marchande de vin* en marchand de vin. À notre vue, incarnation réussie de la désolation, il devenait hargneux. Les appels à ses sentiments profonds, la douceur insistante: "Viens donc, mon p'tit homme..." restaient sans effet visible. Il redressait sa courte taille et renâclait de sa voix transformée, craquante.
Le ton du colloque changeait, montant du blanc de la pâleur au rouge du courroux. Elle lui demandait s'il n'avait pas honte de se soûler la gueule pendant que son pauvre gosse crevait de faim.
L'ingénieux chantage.
Moi, le pauvre gosse, j'étais passé ouvertement dans le camp maternel et mes petits yeux se chargeaient de blâme. (...)
Tout piteux, mon père bafouillait des "ben alors" ou des "mince alors". Il n'y comprenait rien et nous rentrions en cortège.
La revanche se jouait à la maison. Ma mère recevait des coups durs dans sa belle figure. Son p'tit homme, raffermi, lui lançait, en faisant cela, des mots orduriers
, des mots courts qui, après avoir servi d'insulte, venaient se placer dans la mémoire.
La chambre était traversée de clameurs.
Calmé ou lassé, mon père sortait. Il s'en allait gueuler dans les rues voisines, tout seul, le feu au ventre. On dit de ces gens qu'ils ont le vin mauvais.
Maman, les chichis défaits et pendants, geignait longuement, ployée contre le bois du lit.
- Ce n'est rien mon petit, disait-elle en tamponnant son visage bouffi et rougi. Elle me souriait et découvrait des gencives saignantes, presque édentées sur le devant.
Tous les jours, dans notre logement, il y eut des disputes, des luttes. La rue suivait l'affaire avec intérêt et les commerçants me considéraient d'un oeil compatissant.
J'étais devenu l'enfant-martyr du quartier.
Henri Calet La belle lurette.
* À ceusses prompts à dénoncer une culture de boomer, prière de remplacer "marchand de vin" par dealer, le jaja par la coke et "la rue" par les réseaux sociaux. Puisqu'il faut tout préciser.
J'ai trouvé asile en France, reprit Papski. De grandes écoles m'y ont ouvert leurs portes, des confrères, inconnus de la veille, leurs bras. Pourtant, non, je n'aime pas ce pays.
Peut-être est-ce qu'à mes yeux d'astronome il s'étale trop complaisamment sous son maigre ciel cartésien. Peut-être est-ce sa gloriole de coquette sur le tard. Ou le ressentiment peut-être, parce que sous le faux nez d'un humanisme de façade la xénophobie s'y donne à coeur joie.
Vous voyez, je ne sais pas au juste. toujours est-il que, écoles et confrères nonobstant, j'ai été raflé à l'égal de milliers et de milliers de mes semblables. Puis, avec la débâcle, les camps français sont devenus des antichambres de la mort.
Le plus désolant n'est pas le triste spectacle d'une bande de guignols fascistoïdes et mégalomanes tous alignés derrière un bouffon*, le plus désolant n'est pas que la gauche du monde entier soit devenue la gauche la plus bête du monde, comme on qualifiait la droite à l'époque.
Le plus désolant est le sort des migrants qui ne seront pas tous et toutes traqués ni déportés, les grossiums ayant trop besoin de main d'oeuvre pas chère, le plus désolant est le sort des réserves indiennes, tristes confettis désolés, où les projets de mines, d'exploitation pétrolières et gazeuses, d'oléoducs vont repartir comme en quarante (pardon, comme sous Obama et Trump Premier, le plus désolant est le sort des malades, des pauvres, des femmes, des taulards, des... Mais vous savez tout cela par coeur et les néfastes plus près de nous sauront sûrement en prendre de la graîne.
Dédié au pantin obscène.
Et puis dégoûté qu'on était pas le cours des événements, on n'avait pas osé mettre ça en plein incendies de Los Angeles. Mais puisqu'il paraît qu'on est entrés dans l'Armageddon, autant danser sur les ruines.
* The venal, lying, racist, misogynistic, hateful, crude, vulgar, socially and environmentally destructive reactionary crap, leavened by blatant greed and coated in the most abysmal stupidity that we in the United States (and you innocents in the rest of the world) will be subject to on a constant basis starting today. (pioché du blog "Kvetchlandia")
On avait jusqu'alors plutôt l'habitude d'entendre duBaudelaire bramé par Ferré, susurré par Gainsbourg, déclamé par Reggiani, entonné par Georges Chelon, bref, rien que d'assez classique (voir lien).
Quelle ne fut pas notre agréable surprise de découvrir une jeune chanteuse dénommée UTA, reprendre le poème Recueillement, tiré des Fleurs du Mal, sous le titre bizarre de l'auteur même du texte et en une version rock psyché d'assez bon aloi.
Le nom de la dame fleure bon une certaine consonance germanique que vient étayer son charment accent mais on n'a aucune certitude à ce sujet.
Et sinon essayez voir de chercher des renseignements sur une chanteuse au pseudo (en est-ce seulement un ?) aussi improbable, même en écartant toutes les compagnies aériennes imaginables... Et qui n'a, en outre, qu'un seul 45 tour répertorié au compteur.
Heureusement, l'indispensable Discogs est là.
Donc, l'objet est sorti en 1969 chez Disc' Az (ref. AZ 10 458) avec en première face une reprise d'une chanson des Shangrilas, Past, present and future, pas leur plus connue, écrite par les forçats de la plume Jerry Leiber, Arthur Buttler et George Morton qui avaient joyeusement repomper Beethoven au lieu de lui rouler dessus.
Cette Face A, toute à fait dispensable, sous le titre prévisible de hier, aujourd'hui demain est à ce clic là.
La face B, de bien meilleure tenue, est interprétée par on ne sait qui, mais la musique fut composée par Pierre Groscolas, honnête artisan ayant vécu à la frontière du rock et de la variétoche et qu'on vit officier derrière Eddy Mitchell ou Johnny Halliday.
Sinon, le single en question serait sorti... au Liban !
Illustration en hommage au Tenancier et à l'ami L. qui nous apprirent une des rares bonnes nouvelles de cette période bourrique. Comme quoi, ce ne sont pas toujours les meilleurs qui...