mardi 10 juillet 2018

La révolte des vignerons

"Avoir tant de bon vin et pas pouvoir manger de pain" Béziers, juin 1907
C'est en tombant, dans un grenier, sur la photo d'un arrière grand-oncle en uniforme (les paysans se faisaient alors photographier à l'armée) avec le chiffre 17 ornant le col de sa capote que cet épisode a refait surface.
Au début du XXème siècle, Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales ont transformé leurs plaines desséchées en superbes vignobles.
De 1900 à 1906, la production de vin du Languedoc grimpe de 16 à 21 millions d'hectolitres. Cette surproduction se solde par une chute brutale des prix qui sont divisés par deux ou par trois en quelques années. C'est la ruine pour de nombreux viticulteurs qui n'arrivent pas à rembourser leurs dettes mais aussi négociants dont le sort est suspendu à celui de la viticulture.

Pour des raisons de survie, la plupart des petits viticulteurs ont déjà créé des coopératives.
Extrait d'un discours de Jaurès :  Dans une vigne, des raisins contrariants et imbéciles dirent qu'ils ne voulaient pas aller avec leurs frères qui se laissaient cueillir. On fit comme ils le voulaient, et ce qui se passa, c'est qu'ils pourrirent sur souche, tandis que les autres allèrent à la cuve, où ils firent le bon vin qui réjouit les cœurs. Paysans, ne demeurez pas à l'écart. Mettez ensemble vos volontés, et, dans la cuve de la République, préparez le vin de la Révolution sociale
Les Languedociens réclament alors l'abrogation de la loi de 1903 sur la « chaptalisation » (sucrage destiné à augmenter le taux d'alcool) et une surtaxe sur le sucre pour décourager les importations. Le Président du Conseil, le toujours aimable Georges Clémenceau demeure inflexible. "Je connais le Midi, tout ça finira par un banquet", ose-t-il affirmer.
En 1905, des manifestations rassemblent plus de 15 000 personnes à Béziers et Marcelin Albert, cafetier surnommé "lou cigal" (il harangue juché sur un platane) lance sa pétition :  Vive le vin naturel ! À bas les empoisonneurs !

En 1907, suite à l'épidémie de phylloxéra ayant entraîné la disparition d'une bonne part du vignoble, le gouvernement importe massivement du vin d'Algérie qui sature le marché.
Le coupage au sucre étant toujours interdit, les producteurs sont ruinés et entraînent avec eux toute l'économie régionale. En février, une grève des impôts commence à Baixas, le 11 mars, le Comité de défense viticole appelle à la grève et à la démission des conseils municipaux.
Le 12 mai, 150 000 personnes défilent à Béziers. Des barricades sont érigées.
Clemenceau en appelle au sentiment républicain des maires et, dans le même temps, envoie 27 régiments (32 000 soldats).
Le 9 juin, on estime la manifestation de Montpellier à 800 000 personnes. 
Le 19 juin, à Narbonne, où le maire socialiste, Albert Ferroul a démissionné, les soldats tirent sur la foule, faisant deux morts dont un adolescent. Le lendemain, la préfecture est incendiée. Face à une foule qui hurle sa haine : cinq morts.
Ce jour-là, le 17ème d'infanterie, stationné à Agde et formé de gars du Midi se mutine et gagne Béziers à marche forcée pour protéger la foule contre les autres corps d'armée.

Accueillis par une population en liesse, les mutins s'installent sur les Allées Paul Riquet, mettent crosse en l’air. La population leur offre vin et nourriture.
À Paulhan, la voie ferrée est mise hors service par des manifestants qui stoppent ainsi un convoi militaire chargé de mater les mutins. À Lodève, le sous-préfet est pris en otage.
Il y a négociation, après avoir obtenu la garantie qu’aucune sanction ne leur sera infligée, les soldats du 17ème acceptent de déposer les armes et regagnent leur caserne le 22 juin, sous bonne escorte et sans aucun incident majeur.


Finalement, le gouvernement établit une surtaxe sur le sucre et réglemente sévèrement le négoce du vin, donnant ainsi raison aux manifestants.
Les mutins furent envoyés à Gafsa, en Tunisie , en compagnies disciplinaires tout en restant sous un statut militaire ordinaire. On leur a ensuite réservé systématiquement les assauts en première ligne en 1914.
Il en reste la chanson de Montéhus, Gloire au 17ème, ici chantée par le récemment disparu Marc Ogeret


Populaire fut ce refrain : en octobre 1910, lors d'une grève des carriers à Levrezy, Louis Bara, syndicaliste libertaire, entama le chant, puis cria  "Soldats, crosse en l’air, rompez vos rangs, mettez-vous avec les travailleurs, faites comme vos frères du 17ème". Il fut condamné, en février 1911, à 18 mois de prison.
La mémoire de cette grève de 1907 reste vive dans la région. Elle culminera dans le mouvement de 1976, dont on vous a touché un mot ici 
Témoin de l'époque où l'on chantait Rouge en Languedoc, Lengadoc Roge de Claude Marti (1973).

7 commentaires:

  1. Quand tu vois ce que c'est devenu, Béziers, nom de Dieu...

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    1. Et Narbonne, Sète, Carcassonne... Ça donne envie de bouffer sa casquette. Et à propos du temps d'avant et des graffitis qui restaient longtemps, il me revient que sur le stade de Limoux se trouvait bombé en énormes lettres "Ici, 15 000 abrutis viennent voir 30 autres courir". Sévère mais juste, comme on dit au rugby.
      J.

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    2. "J'entretiens 11 imbéciles pour en calmer 800" (Jean Bouise, dans Coup de Tête, de J.J Annaud). Allez Trincamp !

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  2. Ah, et puis, puisqu'on tend la perche, demandons-nous pourquoi et comment des bastions communistes sont devenus des nids de frelons nationalistes identitaires. Encore merci, camarades, pour vos campagnes "Produisons français" et vos bulldozers rasant les foyers d'immigrés à Vitry aux Loges.
    Même si ces saloperies sont loin de tout expliquer.

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  3. Vitry-sur-Seine ? Bah, un peu d'emphase approximative…

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  4. Ho merde. merci d'avoir rectifié la géographie.
    Les Sonacotras devaient effectivement être plutôt rares du côté de cette commune du Loiret.

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  5. ... Où il y eut un autre fait divers à une trentaine d'années d'ici.

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