lundi 14 mai 2018

Harry Fragson, faux rosbif de la chanson belle époque


 Article du dimanche 4 janvier 1914 : 

Une foule énorme accompagne la dépouille d'Harry Fragson 
Paris a fait à Fragson des obsèques populaires. Trop populaires même, et il est impossible passer sous silence les regrettables incidents qui ont failli compromettre la dignité du convoi. Autour de Notre-Dame de Lorette la bousculade faillit tourner à l'émeute. Des appareils cinématographiques aux aspects de balistes et de cangaltes (sic) évoquaient le siège d'Alésia par les Romains. Une de ces encombrantes machines s'écroula avec fracas. Et ce furent des poussées féroces, le piétinement sourd des légions en marche, le désarroi enfin.
On ne comprendra jamais comment un vieillard, ami intime du défunt, M. Bloch, fut pris pour le père de la victime et couvert d'injures par des personnes évidemment pleines de bonnes intentions qui n'écoutaient que leur courage. Des camelots criaient les chansons de Fragson ! On n'avait pas vu pareil charivari depuis les obsèques de Victor Hugo. Enfin, cela prouve du moins que le pauvre Fragson a laissé beaucoup de regrets et qu'il était très populaire.

Mais qui diable était ce chanteur qui eut un enterrement digne de celui non seulement de Victor Hugo, mais aussi de Louise Michel ou de Jules Vallès ?

Il serait né Victor Léon Pot ou Vince Léon Pott ou encore Potts,  le 2 juillet 1869, le 10, ou le 12 selon les sources, à Anvers, à Londres ou dans le Surrey.
Tel un Cravan ou un Traven, le gars a brouillé les pistes : il se disait anglais par son père, Victor Pot (sic) mais belge (et français) du fait de sa mère, L. W. Pot...
Chose certaine : il fut au cours de sa carrière à l'aise dans les deux langues. Il a d'ailleurs fait carrière en France et en Angleterre, chantant et gravant, à Paris, de nombreux disques en français avec un léger accent anglais et, à Londres, en anglais avec un léger accent français.
Chantant en s'accompagnant au piano de trois-quart face au public, ce balèze débuta aux Quat'-z-Arts, puis hanta la crème des caf' conc' et des music halls :  l'Européen, le Ba-Ta-Clan, le Concert Parisien, l'Horloge, le Parisiana...
Yvette Guilbert, la star incontestée du moment, reprit le P'tit cochon et sa Ronde des petits chiens.
Après quelques tours de chants en Angleterre, il est rentré en France en 1905 jouer plusieurs rôles dans des comédies musicales.
Son premier gros succès, de 1897, est toujours repris de nos jours. 

  
De 1905 à 1913, il enregistre la bagatelle de 18 disques, ce qui est énorme pour une époque où les phonographes étaient peu abondants. Son seul Reviens ! donnera lieu à 43 reprises par Tino Rossi, Suzy Delair, Ray Ventura, Jean Sablon, etc. et parodié par Georgius sous le titre Rentre !
Mais sa chanson immortelle, la scie de l'avant-guerre, celle dont l'air fait toujours les beaux jours des manifestations est Si tu veux, Marguerite.

 
Et puis, le 30 décembre 1913, rentrant à son domicile, rue Lafayette à Paris, son octogénaire de père lui expédia quelques coups de revolver. On a parlé de drame de la jalousie, d'histoire de femmes, d'argent (il y aurait eu en jeu une fortune de 14 milliards entre liquidités, actions, biens immobiliers !) mais l'unique certitude est que son père, souffrant de troubles psychologiques, était persuadé que son fils voulait le placer en maison de santé... Celui-ci mourrut avant d'arriver à Lariboisière.
Ses funérailles furent donc une énorme manifestation, derrière le cercueil se sont pressés Roland Dorgelès, Dranem, Mayol, Paulus, Dickson, Mazyol, Polin...

Ultime fantaisie : il a longtemps été officiellement inhumé au cimetière Montparnasse mais trois tombes du columbarium du Père Lachaise portent son nom. Laquelle est la bonne ?
Outre reprendre ses airs, Barbara lui rendit hommage dans sa chanson Fragson (1981)


 


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