jeudi 12 mai 2016

Terroristes et casseurs (2) : Anarchy in the UK (Angry Brigade)

Les Huit de Stoke Newington
Oyez, oyez cette histoire édifiante : le 12 janvier 1971, le ministre du travail britannique, James Carr, maître d’œuvre d'une loi sur les relations industrielles (Loi travail, quoi) qui a provoqué une vague de grèves et de manifestations, a vu sa luxueuse baraque soufflée par deux bombes.
Selon une revue underground :" Les aménagements de la cuisine de Robert Carr ont été réalisés par une entreprise de démolition bien connue : la Angry Brigade (Brigade de la colère)".
Extrait du communiqué numéro 5 de ladite petite entreprise :
" Nous nous attaquons à la propriété, pas à la population.
Robert Carr serait mort si nous l'avions voulu.(...) Seuls les fascistes ou les membres du gouvernement s'en prennent aux gens (...) La démocratie britannique s'est édifiée sur plus de sang et de terreur qu'aucun autre empire* (...) Sa police est brutale (...) Et voilà que son gouvernement déclare une guerre de classe. Le projet d'Industrial Relations Act de Carr en est partie prenante, il est censé déséquilibrer le rapport de force. Nous avons lancé la contre-attaque : la guerre sera gagnée par les prolétaires armés de bombes."
En trois ans, ce groupe, jusqu'ici inconnu des services de police, revendiquera plus ou moins 25 sabotages, principalement à Londres et publiera une cascade de communiqués énervés, ironiques, menaçants, poétiques, un peu situationnistes sur les bords et tous plus réjouissants les uns que les autres.

 La Brigade,  précisera bien que ce nom est utilisable par tout un chacun : "La Angry Brigade se trouve partout où deux ou trois révolutionnaires attaquent la société de classe" (extrait du communiqué n°6)
Ses objectifs sont aussi variés que compréhensibles par tous : ambassades d'Espagne franquiste ou d'Afrique du Sud, centres de recrutement de l'armée, commissariats, casernes, concours de Miss Univers, domiciles de patrons, ou de ministres, ou de juges, centre commercial de "mode hippie", ordinateurs de Scotland Yard, pubs ayant refusé de servir des grévistes et même... deux étages de la Post Office Tower (Tour des communications).
Bilan humain : une blessée légère, une domestique du ministre Carr envoyée en avant par son patron pour évaluer les dégâts au moment de l'explosion de la deuxième bombe.
Bilan de la répression : une meute de flics complètement largués lancée aux trousses des saboteurs. Ils vont patauger pendant trois ans, faire fermer des journaux, rafler des Irlandais, puis des anarchistes, infiltrer les milieux subversifs et, finalement, arrêter huit personnes, quatre femmes ( Angela Weir, Kate Mc Lean, Anna Mendelson et Hilary Creek) et quatre hommes ( Chris Bott, Stuart Christie*, Jim Greenfield et John Barker). Jugées à Stoke Newington, quatre seront acquittées et quatre lourdement condamnées.
Ironie de l'affaire, ces huit là étaient déjà prisonniers lorsque se sont produits trois des attentats les plus bruyants de la Angry Brigade.

Disparue peu après le procès, la Brigade reviendra en 1983 / 1984, sous Thatcher, pour quelques sabotage et pieds de nez, notamment durant la grève des mineurs.

Évidemment, en cette période 1968 / 1972, les actions du groupe ont été relayées, discutées, soutenues, critiquées, décriées par les journaux de la contre-culture, les fanzines, les militants et agitateurs habituels ou occasionnels et même chantés par divers groupes.
Et ils sont toujours une légende, la preuve :



Jusqu'à notre cher culpabilisé et maladroit Joe Strummer qui s'en inspira, avec sa bande, en 1978 :

* Ça se discute ! (ndc)
** L'anarchiste écossais Stuart Christie avait déjà connu les geôles franquistes pendant trois ans pour avoir rendu quelques services à des camarades Espagnols.

Ps : Ceci est un résumé à la louche. En français, on trouve Angry Brigade : Contre-culture et luttes explosives en Angleterre (1968-1972), de Servando Rocha (L'Échappée, 2013 ) et Angry Brigade : Éléments de la critique anarchiste armée en Angleterre, (Ravage Editions, 2012). 

3 commentaires:

  1. Du coup, la transcription française en " haine brigade " se justifierait-elle ? Haine et colère seraient-elles des notions interchangeables ? Y aurait-il - ou pas - équivalence ?
    Intéressante piste (rouge et noire) de réflexion.

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  2. Très intéressant. C'est moi ou bien c'est plutôt rare des groupes d'extrême-gauchistes "terroristes" composés à 50-50 de femmes et d'hommes?

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  3. À coup sûr les Lyonnais de Haine Brigade ont du penser à ces joyeux drilles. Ceci dit, en anglais ça aurait plutôt donné "Hate Brigade". J'ai tendance à croire que les écrivains britanniques révoltés des années 50, les "Angry young men" ne sont pas pour rien dans le choix du nom.
    Quant au 50/50, hommes/femmes allez savoir...
    La justice n'a chopé que huit personnes (dont 4 innocentées on rappelle). En fait, neuf, mais on n'avait guère envie d'évoquer celui qui avait trop bavardé.
    Et puis, ce n'était pas non plus si rare. Du côté des gauchistes de la RAF, c'était aussi du 50/50.
    Salud !
    Jules

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