jeudi 29 octobre 2015

Maurice Fanon a le cafard

Maurice et Colette

À l'instar de Bernard Dimey ou de  Jean-Roger Caussimond, Maurice fanon (1929-1991) est le type même de l'auteur qui a nourri une charrette d'interprètes avant de se décider a y aller de sa propre voix.
Après une parenthèse algérienne de deux ans qui le laissera antimilitariste à perpéte, il écrira pour Georges Moustaki, Pia Colombo, Francesca Soleville, Joe Dassin, Isabelle Aubret, Cora Vaucaire, etc. avant de se lancer en compagnie de Jacques Debronckart au cabaret de Jacqueline Dorian avant de signer chez Odéon en 1963.

Sans illusions ni concessions pour le monde du show-business, Fanon continuera une carrière en dents de scie dans les cabarets marquée, entre autre, par le blocage de ses droits par deux maisons de disques. 
Curieusement, il aura un certain succès d'estime au Japon.
Entre un vieux fond anar et des amitiés au grand parti des travailleurs, il aura l'honneur d'un disque entier de ses compos interprétées par Juliette Gréco.
Par ailleurs, il a écrit deux romans et quelques recueils de poésie qui ne seront édités qu'à titre posthume.
Il est mort le 30 avril 1991.
Un site internet lui est dédié. 

Une autre joyeuseté

dimanche 25 octobre 2015

Novembre entre quatre murs

La prison est ce lieu où Ulysse est sous l’œil d'un Cyclope qui garde et mange les moutons. (AH Benotman)

Depuis qu'un certain Hamourabi a chié les premières traces écrites de la loi, il semble que l'humain ait développé une passion certaine pour entraver et enfermer son semblable.
Et ce n'est pas allé en s'arrangeant depuis, c'est même un business qui peut rapporter gros.
De même qu'il existe une littérature carcérale, un cinéma carcéral, une peinture carcérale, la chanson s'est souvent attaquée au triste sort du taulard, du galérien, du bagnard, du gosse en maison de redressement.
Mais on ne réduira pas ici l'enfermement à la seule prison. Hôpitaux psychiatriques, mouroirs de retraites, centre d'éducations fermés (bel oxymore administratif, au passage), stockage concentrationnaires sont autant de lieux d'enfermement.
Chacun peut se retrouver enfermé et en faire une complainte, un hymne, un blues vengeur ou un refrain ironique.

L'Herbe tendre de novembre ira donc fouiner entre quatre murs pour l'émission du lundi 2 novembre à 18h sur radio Canal Sud (canalsud.net)

Un documentaire de Nicolas Drolc sur les mutineries de Toul et Nancy en 1971 (musique de King Automatic et M. Verdun)


Où nos working class heroes conseillent de ravager les maisons de redressement (les images viennent de la mutinerie de Stangeways, Manchester,1990)

 
 


jeudi 22 octobre 2015

La ville de boue (1870)


Voilà une chanson qu'on a manqué passer dans l'émission consacrée à la racaille militaire.
Créée par Tri Yann, sur leur album Urba en 1978, elle narre un épisode méconnu de la guerre de 1870/1871, celui du camp de Conlie.

Le 4 septembre 1870, après un début de guerre désastreux contre la Prusse, Napoléon III, prisonnier à Sedan, abdique. 
Sous pression d'un Paris pré-révolutionnaire, Léon Gambetta, ministre de la guerre du nouveau gouvernement,  voulut poursuivre une "guerre à outrance" en levant des Mobiles pour livrer des batailles censées rompre l'encerclement de la capitale.
Dans ce cadre, il était prévu de former une Armée de Bretagne avec les surplus de la guerre de Sécession américaine. Les promesses de doter cette unité de l'armement et de l'équipement nécessaires, ne furent jamais tenues. 
Émile de Kératry, obtint de Gambetta, enfui à Tours, l'autorisation former, sous sa responsabilité, cette Armée de Bretagne autonome (60 000 hommes), destinée à se rendre au secours de Paris. Cette armée sera cantonnée à Conlie, prés du Mans.


Mal vêtus, contraints de monter leurs tentes dans un terrain récemment labouré, devenu bientôt fangeux, sans aucun approvisionnement, tant alimentaire que militaire, ils furent bientôt la proie de maladies (fièvre typhoïde, variole...). Gambetta les considérant comme des Chouans potentiels, il n'équipa qu'une infime fraction des troupes avec à peine plus de 4000 vieux fusils à percussion de types divers parfois rouillés, dont les plus modernes étaient des Springfield américains. De plus, ils furent dotés de munitions hétéroclites qui ne correspondaient pas à leurs armes, ou dont la poudre avait été "délavée" par l'humidité et se révélaient incapables de faire feu. Dans le pire des cas, certaines de ces armes explosaient au moment du tir, s'avérant plus dangereuses pour leur servant que pour l'ennemi. Indigné par le sous-équipement de ses troupes et les conditions sanitaires déplorables qui leur étaient imposées, n'obtenant pas de réponse satisfaisante du Gouvernement de Défense Nationale, Keratry demanda à être relevé de son commandement.

Le général de Marivault, remplaçant Kératry, écrivit à Gambetta le 22 décembre 1870 : " j'ai trouvé 46.000 hommes désarmés, mal vêtus, non chaussés, sans campement (les baraquements promis n'ont jamais été montés et la troupe pour plus de 90% couche sous des tentes, ils ont comme matelas de la vieille paille) et sans solde,paralysés dans un marais où toute leur énergie consiste à se tenir debout et à se tenir secs...!"
Jugement confirmé par un journaliste du Times de Londres : 
"... L'aspect des troupes que j'ai rencontrées aujourd'hui était déplorable. Leurs armes rouillées paraissaient hors d'état de service. Plusieurs marchaient sans chaussures, un grand nombre paraissaient exténués e leur cavalerie était dans un état pire que l'infanterie s'il est possible. Bien souvent, c'est le cavalier qui aide le cheval à avancer...."

Le camp fut surnommé Kerfank (la ville de boue) par les mobiles.
La chanson* de Tri Yann évoque ainsi les cris des soldats mourant de froid et de malnutrition, implorant le général de les renvoyer à la maison : « General, ma general d'ar gêr, d'ar gêr ma général, n'eo ket d'ar brezel ! » (à la maison mais pas à la guerre). Marivault loua leur ardeur à vouloir partir à la guerre, ignorant qu'en breton, "d'ar ger" ne veut pas dire "à la guerre", mais "à la maison".


De fait, on laissera ces soldats pourrir sur place, ne les envoyant au massacre qu'en janvier 1871 sans armement adéquat, pour une défaite supplémentaire, au Mans.
Le général de Lalande déclarera devant une commission d'enquête parlementaire :
«  Je crois que nous avons été sacrifiés. Pourquoi? Je n'en sais rien. Mais j'affirme qu'on n'aurait pas dû nous envoyer là, parce que l'on devait savoir que nous n'étions pas armés pour faire face à des troupes régulières. »
7 mars 1871: dissolution de l'Armée de Bretagne. Retour au pays des troupes bretonnes.
Nous voilà rassurés. Pour notre part, nous avons longtemps pensé que cette armée de gueux, tenus en réserve, avait été ensuite utilisée pour écraser la Commune de Paris. Il semblerait qu'il n'en soit rien. 

Un monument a été élevé sur le camp de Conlie dont voici la plaque : " 1871 D'AR
VRETONED TRUBARDET E KERFANK CONLIE DALC'HOMP SONJ 1971" (Aux Bretons trahis au village de boue de Conie. Souvenons-nous.)

La plupart des informations de cet article sont tirées de ce site.
Si on trouve une chanson idoine, on se fera un plaisir de vous raconter le sort lamentable d'une autre armée au cours de cette même boucherie, celle de Bourbaki. 

On constatera à nouveau que le mépris et l'incompétence criminelle des états-major n'a pas attendu 1914 ou 1940.

* Le Guillaume du refrain, c'est le roi de Prusse, futur empereur d'Allemagne. Alfred Chanzy est le général de l'Armée de la Loire, responsable du désastre du Mans.  

lundi 19 octobre 2015

Marcel Aymé et Marianne Oswald

Deuxième article signé Marcel Aymé et envoyé par les bons soins de l'ami Wroblewski.
Comme le précédent, c'est de 1934, juste avant que le déroutant Marcel n'aille s'enticher de Mussolini et de ses expéditions africaines (si, si, quel Con !).

JEU DE MASSACRE
Je suis allé, l'autre soir au cabaret des Noctambules entendre Marianne Oswald, cette artiste juive dont le répertoire et la personne même ont été l'objet, il n'y a pas bien longtemps, de manifestations véhémentes allant du sifflet à roulette aux articles de presse les plus haineux. Ce n'est pas du tout mon affaire d'apprécier le talent d'une vedette, d'autres s'y entendent beaucoup mieux que moi. Il me semble simplement, et je le dis en passant, que si ses détracteurs voulaient bien faire leur examen de conscience, c'est à dire un effort d'imagination, ils conviendraient sans peine que le genre choisi par Marianne Oswald (...) est fort au dessous d'elle et que seuls seraient dignes de son génie certains grands rôles de la tragédie grecque et du théâtre élisabéthain en attendant que son extraordinaire personnalité (...) fasse surgir quelque dramaturge inconnu.
En voyant son image d'Atride aux yeux brûlés, sa silhouette de gargouille, ses gestes d'ombre chinoise, on oublie le thème du moment pour songer aux réalisations de demain. 
Marianne Oswald, si ses conseillers ne l'égarent pas sur la voie du Grand-Guignol, est sans doute, une chance unique pour le théâtre, notre vraie chance de n'y aller plus seulement pour y bailler d'ennui (...) 
Pour l'instant, elle se trouve (...) récitant le monologue sur des tréteaux de guinguette et le miracle est qu'elle réussisse à émouvoir le spectateur, à troubler une salle avec le mince prétexte de ces chansons et de ces petits morceaux cousus de gros fil qui laissent trop paraître la distance entre l'artiste et la pauvreté du genre et qui fournissent aux grincheux quelques raisons de la critiquer. (...)
Je n'avais pas encore entendu le fameux Jeu de massacre qui valut dernièrement à Marianne Oswald d'être expulsée de Suisse et qui inspire encore à quelques chroniqueurs français des cris d'effroi et de colère. Je m'attendais à quelque chant révolutionnaire altéré du sang des bourgeois, gonflé de menaces et d'invectives, giflant l'auditoire de la misère des claque-dents et de l'impudence des ventres dorés. Pour que la Suisse se fut sentie menacée dans son équilibre par une simple voix de femme, il fallait un chant atroce, d'une violence à rendre intenable la situation du délégué de l'Union Sovietique à Genève. de couplet en couplet, j'attendais l'explosion, l'appel forcené à la vengeance, j'en fus pour mes frais.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Il s'agissait bonnement d'une partie de jeu de massacre à la foire aux pains d'épice et le couplet final, le plus subversif, celui qui, vraisemblablement, fit trembler de peur le gouvernement helvétique, était quelque chose comme "Boum sur la mariée ! Boum sur le notaire ! Boum sur le général ! Boum sur monsieur le maire!..." Pas plus.
L'écrivain le plus officiel, le plus monoclé, le plus chéri des salons bien pensants, celui dont la moustache cirée projette son ombre austère sur le haut col de porcelaine blanche s'est sûrement permis des audaces plus corsées dans ce qu'il appelle ses péchés de jeunesse et il ne serait même pas surprenant qu'il écrivît encore un pareil morceau pour la récréation de ses petits-enfants. 
Il faut vraiment avoir un sens aiguisé du symbole pour voir se profiler le spectre de la révolution dans des couplets aussi anodins. autant dire qu'il faut être poète et d'avant-garde.
Marianne Oswald ne voudra-t-elle pas chanter une complainte sur la peine de ces âmes délicates et tourmentées qui voient en elle la grande prêtresse des rouges offrandes et qu'une chanson de poupée suffit à effrayer ?

 La chansonnette en question. On l'avait envoyée dans l'émission "Méchanceté 2"

Oswald à l'époque (si, si, juré)


samedi 17 octobre 2015

Dernières nouvelles de LKDS

Il y a un peu plus d'un an, on attendait des nouvelles de LKDS


Le disque* qu'on attendait est sorti depuis. "Couscous saignant, svp!" mélange un concert d'avril 2013 au CICP de Paris en soutien à la revue anti-psychiatrie "Sans remède" et un enregistrement de 2014 au studio de la Mare.

Et puis, voilà que la bande de Barre des Cévennes envoie un clip qu'on se fait un plaisir de faire tourner.
À bientôt par chez nous, les gars ?



* Vinyle et cd, bien entendu.

mercredi 14 octobre 2015

Damia, Billie Holliday et la légende de la chanson qui tue

Et celle de la chanson qui poussait au suicide, vous la connaissez ?

Reszö Seress
Si, si, cet air vous dira quelque chose.
À l'origine, un musicien de jazz Hongrois, Reszö Seress, écrit une ballade mélancolique en honneur à ses chers disparus. On est en 1933 et l'air en question, Szomorú Vasárnap, se retrouve assez vite interdit de présence dans les différents établissements de Budapest, les directions craignant que cette chanson déprimée n'aille pousser une clientèle quelque peu imbibée au suicide.

Étrange destinée que celle de Seress, (ou Rudolf Spitzer). Juif, gosse de pauvres, pianiste autodidacte, trapéziste, déporté par les nazis, il survivra après avoir été pianiste au camp (sur une main suite à une blessure). Il écrira de nombreuses chansons toutes plus cafardeuses les unes que les autres (beaucoup à la gloire de l'ivresse) ainsi qu'une dédiée au Parti communiste Hongrois. Il mettra fin à ses jours en 1968 en s'étranglant avec un câble.
Malgré, ou plutôt grâce à sa réputation mortifère, la complainte fut vite adaptée hors de Hongrie (au Japon, en Russie, en Corée, etc.)
En France, c'est Damia qui s'est chargée de chanter ce morceau taillé sur mesure pour ses accents tragiques sous le titre "sombre dimanche" en 1936.
Mais ce furent les rois de la pub, les Américains, qui en remirent une couche au sujet de la "chanson hongroise qui pousse au suicide". En pleine crise, le Britannique Paul Robeson adapta la version française en "gloomy sunday" (plutôt glauque que sombre, donc). Elle fut bannie des ondes de la BBC en 1941 afin de ne pas trop démoraliser front et arrière.
L'immense Billie Holiday en fit, cette année là, cette splendide version.

Depuis la chanson qui tue aura connu plus d'une cinquantaine de variantes. Divers cinéastes ont utilisé la chanson tueuse sans que les statistiques des suicides n'aient vraiment varié.

lundi 12 octobre 2015

Un classique d'Au Bonheur des Dames

C'était en 1974, l'âge d'or du glam-rock.
Dans le désert français, Au Bonheur des Dames remettait au goût du jour une pincée de rockabilly et un vieux twist des Chats Sauvages à la mode carnavalesque.
Le son est pourri mais la version télévisuelle plutôt marrante. 
 
 

À propos, on a, un jour, croisé une version de "Twist à Saint Palais" particulièrement aimable pour le Pays basque profond et intérieur. Si quelqu'un a encore ça en réserve, on s'y jettera dessus avec délectation.

vendredi 9 octobre 2015

Sympathie pour Satan et Amour

Allez, c'est parti dans le genre reprise piteuse mais alors tellement piteuse, qu'elle en devient, comment dire... intéressante.
L'original est du Sud-Africain exilé aux USA Manfred Mann, la meilleure version, celle de Love, le groupe pour lequel le mot "maudit" semble avoir été exprès créé.
Résumons l'affaire : Love est monté en 1965 par Arthur Lee, métis texan qui va en faire en un an LE groupe de la scène de Los Angeles par son mélange de blues, folk, psychédélisme, mariachis, baroque, etc. Bref, on oscille entre génie, grotesque et grand n'importe quoi. 
Ajoutez-y un guitariste clone de Brian Jones, Bryan Mac Lean, pour jouer l'opposition entre l'ange blond contre le démon noir (Bryan finira évangéliste barré) et vous avez le genre de combo que les requins de l'industrie cherchaient pour s'ouvrir le marché djeunns de l'époque.
Le reste : un premier album unanimement salué, des embrouilles d'ego entre musiciens, la paranoïa d'Arthur, de la dope à gogo, blanche ou brown, la réclusion volontaire (dans un château ayant appartenu à Bela Lugosi tout de même), les  doutes d'Arthur, les refus de tourner, le génie mégalo d'Arthur qui a deux ans d'avance sur Syd Barret, un batteur overdosé, et une maison de disque, Elektra, qui va finir par mettre le paquet sur un groupe monté par un fan d'Arthur, Jim Morrison, vous avez bien reconnu the Doors.
Reste ce témoignage en play-back de 1966 dans lequel on constate que les petits gars auraient peut-être pu ne pas jouer à saboter leur carrière
 
Ils s'appelaient Love et n'étaient que haine, donc.
Là où ça devient drôle, c'est que la même année, fin 1965, en France, un protégé de Barclay, auteur pour le très oublié Ronnie Bird, décide d'adapter le même morceau.
Évidemment les paroles "tu es mon petit livre rouge" semblant assez couillonnes, notre homme va trouver encore pire en se perdant dans un délire pseudo métaphysique en honneur à Lucifer (deux ans avant les Stones !)
Cette chanson ne fera donc pas date. C'est même pour ça qu'on vous la présente.


mardi 6 octobre 2015

Octobre érotique et sensuel (on fait s'qu'on peut)

Lumière vaginale

Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe : voilà l'émission pour galopins que vous attendiez.
Bref, on a tenté de démontrer que gauloiserie et bon goût, sensualité et amoralisme pouvaient se côtoyer. Y sommes-nous parvenus ? Un peu et un peu pas, comme d'hab.
Allez zou :
Les frères Jacques             En revenant de Charenton
Sylvain Richandot              Le mot et la chose
Les 4 Barbus                     À l'auberge de l'écu
Colette Renard                   La puce
Pierre Perret                      Celui d'Alice
Bobby Lapointe                  Comprend qui peut
Suzy Solidor                       Ouvre
Robert Fenneck                  Les nuits d'un damoiseau
Lionel rocheman                 Gaillardise
Bashung                             SOS Amor
Gnawa Diffusion                  Je voudrais être un fauteuil
Jean Guidoni                       Viril
Cazoul                                C'est Hesstra
Nono Deslaurier                  Le Père Thibodeau

On peut écouter ou télécharger à cette adresse

En supplément, une autocritique d'Hubert-Félix 

PS en guise d'excuses : par faute d'une table de mixage capricieuse,une partie de l'émission, celle des communications  téléphoniques, est devenue inaudible. Ce qui donne un certain moment de dialogue absurde et...du silence.

dimanche 4 octobre 2015

Marcel Aymé, les chansons et les faits divers


Le camarade Wroblewski nous communique :
Je suis tombés sur deux articles de Marcel Aymé en annexe de ses romans dans
la Pleïade (...) 
Ces deux articles n'ont rien de transcendant, mais ils sont amusants, ont un charme désuet (tout en gardant une grande part d'actualité : par exemple la chanson crétinisante qui n'a cessé de proliférer jusqu'à nos jours, avec des moyens bien supérieurs à la TSF et au cinéma), et surtout ils évoquent des personnages déjà entendus sur DLHT : Béranger, Marianne Oswald*, et puis un certain Jules, un certain Octave, un certain Raymond... des poteaux quoi.

 En ce qui concerne le père Marcel, on se contentera de rajouter cette anecdote :
à un président de la République voulant lui remettre la Légion d'honneur, il écrivit : « Je vous laisse à vos plaisirs élyséens. Votre Légion d'honneur, vous pouvez vous la carrer dans le train. »

CHANSONS
Notre siècle est décidément celui de l'image (...), la chanson n'illustre plus, comme autrefois, les grands faits divers. 
Avant les perfectionnements du cinéma et de la reproduction phonographique, il n'y avait pas de crime un peu important, d'escroquerie de haut vol, qui ne fussent mis en couplet. Le drame de Chatou, les chèques de Panama, le coffre-fort de Thérèse Humbert et tant d'autres affaires excitèrent, à l'époque la verve satirique ou l'imagination des chansonniers. Pour ma part, je me souviens d'avoir entendu célébrer, sur l'air de La valse brune, les exploits de Bonnot, Garnier, Raymond la science et les autres :
La terrible bande
Laisse un frisson de légende
Et tout Paris se demande... 
Mais j'ai oublié la suite qui valait peut-être mieux que le début.Comme on le voit, ces rimes étaient confortables et le ton des premiers vers à la hauteur de l'épopée. Le temps avait probablement manqué pour composer une mélodie originale et on avait adapté les paroles à un air connu.
c'est que le public d'alors était exigeant, il le pressait de pouvoir fredonner son indignation ou sa pitié. Un beau crime, un beau scandale qui ne fussent pas accompagnés d'un refrain étaient, pour lui, comme une cérémonie sans Marseillaise.
Concert du Bonnot's Band, 1911

La vérité, ou ce qui en tient lieu habituellement ne lui suffisait pas, il voulait pouvoir en disposer à tout instant. La chanson comblait précisément ce qui reste vacant aujourd'hui.
elle est, en effet, un moyen d'information beaucoup plus sûr que la presse et la TSF. Les journaux renseignent avec plus d'abondance mais ils ne sollicitent guère la réflexion que dans l'instant où on les lit. La chanson a sur eux cet avantage d'être toujours présente à la mémoire, ou au moins disponible.
Elle résume encore un événement deux ans après qu'il s'est produit et, dans les meilleurs cas, en restitue l'atmosphère. La complainte de Fualdès en est un exemple fameux : elle a permis que le souvenir d'un assassinat crapuleux mais, après tout assez banal, traverse tout un siècle.

Le proverbe qui dit qu'en France tout finit par des chansons est une ânerie, comme la plupart des proverbes. 
Au temps où il avait cours, les chansons empêchaient, au contraire, l'oubli de se faire trop vite sur une affaire scandaleuse.
La presse n'osait pas étouffer un scandale avec une discrétion trop précipitée alors que le public en avait encore les échos en écoutant les chanteurs de rues ; les consciences mal assurées sentaient une certaine résistance, d'ailleurs illusoire, chez les naïfs qui reprenaient au refrain et la tentation de les plumer était moins pressante. Le fait est qu'à l'époque où on chantai encore, les grands krachs étaient plus espacés qu'aujourd'hui. Ainsi, la chanson, en dépit d'une injuste réputation de légèreté fut-elle comme l'auxiliaire de la vertu.

Une chanson d'Eugène Pottier par Trois Lignes de Bling  

Le grand Krach. 

Elle était même bien souvent, au lieu d'une fin, un commencement. Au cours du XIXème siècle, la chanson a joué un rôle de premier ordre dans l'avènement et la débâcle de divers régimes qui se sont suc cédés en France. Les couplets de Béranger ont eu plus d'efficacité que les discours les plus habiles et c'est une mauvaise chanson qui a contribué à pousser Napoléon III à la présidence de la république. Et peut-être qu'à l'occasion de l'affaire Stavisky, un couplet habile et violent, chanté sur un air endiablé, aurait réussi à émouvoir l'opinion publique. Mais c'est bien improbable et d'ailleurs, le public est lui-même trop compromis dans cette saleté pour qu'une chanson lui rende le sentiment de la pudeur. et puis la chanson est morte et enterrée.
Chanson de Paul Burani et Antonin Louis (interprétée par Francesca Soleville) célébrant la chute de Napoléon III

Pourtant, il existe bien des chansonniers qui chantent dans les cabarets, sur la scène des petits théâtres spécialisés. Ils ne se font pas même faute de chansonner l'actualité et certains savent être mordants.
Malheureusement, ils font trop de bons mots qui sont difficilement transportables ; leurs saillies n'intéressent qu'un public restreint. Il leur manque la simplicité, la conviction naïve qui assuraient autrefois le succès des refrains populaires. Les chansons qui charmaient les foules avant la guerre ressemblaient beaucoup à des images d'Épinal, elles avaient les mêmes couleurs franches, un peu criardes. Les paroles étaient banales, souvent maladroites mais l'intention était sûre et le public avait beaucoup de bonne volonté. 
Il en a encore, la preuve en est qu'il accueille avec faveur les romances d'amour. Hélas ! Pauvres romances, triste sirop de cinéma ! Quand on pense que c'est avec ça que les mères bercent aujourd'hui leurs marmots, on se demande à quel degré d'abrutissement sera réduite la génération 1950. On voudrait croire que ces fadaises passeront de mode. Malheureusement, elles ont des moyens de s'imposer qui leur assurent à peu près l'impunité.
Ce sont le cinéma parlant, le phonographe et la radiophonie qui leur ont permis de concurrencer la chanson populaire et d'en venir finalement à bout. On ne peut rien contre ces puissances, il n'y a qu'à reprendre au refrain.   

* Pour Marianne Oswald, on publiera très prochainement l'autre article.
Comme l'indique l'allusion brûlante à Stavisky, cet article est daté du 24 janvier 1934. 

jeudi 1 octobre 2015

L'Affaire des Quatorze (1)





    On entame une petite série sur le bouquin de l'historien américain Robert Darnton L'Affaire des Quatorze (Gallimard, collection nrf essais, 2014). Darnton qui est quand même directeur des bibliothèques d'Harvard (!) et éminent spécialiste des Lumières et de l'histoire de l'écrit sous l'ancien régime, signe un petit essai fort intéressant sur l'art de la chanson, de sa confection à sa réception à travers une étude de cas, "l'affaire des Quatorze".
 Allez, on vous livre sans plus tarder la quatrième de couv', suivie d'un extrait :

  C'est un étrange dossier des archives de la Bastille et l'un des plus fascinants, fait de paperolles, qu'ouvre, pour la première fois, Robert Darnton.
Au printemps de 1749, le lieutenant général de police à Paris reçut l'ordre de capturer l'auteur d'une ode moquant le roi et sa maîtresse. Le mot fut passé aux légions d'informateurs, ou mouches, et bientôt quatorze personnes croupirent dans les geôles – des prêtres, des clercs et des étudiants.
Griffonnés sur des bouts de papier, les vers circulaient de cabarets en dîners avec grand succès. Robert Darnton ne reconstitue pas seulement une affaire de création collective ; il tire les mailles d'un étonnant filet : celui de la communication orale, politique, dans le Paris populaire du XVIIIe siècle. La plupart des hommes et surtout des femmes ne maîtrisant pas la lecture, le moyen mnémotechnique le plus efficace était la musique. Les poèmes étaient composés pour être chantés sur des airs célèbres que l'on retrouve dans les recueils connus sous le nom de chansonnier.


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    Le dernier poème de l'Affaire des Quatorze, "Qu'une bâtarde de catin", était le plus simple de tous et celui qui toucha le public le plus large. Comme beaucoup de poèmes de circonstance à l'époque, il fut écrit pour être chanté sur un air populaire identifié dans certaines versions par son refrain : "Ah ! le voilà, ah ! le voici". Ce refrain, couplet entêtant, complétait les strophes composées d'octosyllabes aux rimes croisées. La versification se conformait au schéma le plus commun de la ballade française, a-b-a-b-c-c, et se prêtait à une extension infinie parce qu'il était aisé d'improviser de nouveaux couplets et de les ajouter aux anciens. Chaque couplet attaquait une personnalité publique tandis que le refrain rejetait l'invective sur le roi qui apparaissait comme la victime d'une plaisanterie ou comme le nigaud dans un jeu d'enfants où ses sujets auraient dansé autour de lui en chantant par dérision : "Ah ! le voilà, ah ! le voici / Celui qui n'en a nul souci" - comme s'il avait été la biquette que le chien finalement mord dans la comptine : "Ah ! tu sortiras Biquette, Biquette, / Ah ! tu sortiras de ce chou-là ! ". Que cette chanson eût ou non évoqué un jeu à son auditoire dans la France du XVIIIe siècle, son refrain faisait de Louis un imbécile incapable qui s'adonnait aux plaisirs alors que ses ministres tondaient ses sujets et que le royaume allait à la ruine. Des groupes de Parisiens entonnaient souvent des refrains de "pont-neufs", ces chansons sur les événements courants que vociféraient chanteurs des rues et colporteurs aux points de rencontre comme le pont Neuf lui-même. Il semble probable que l'ode "Qu'une bâtarde de catin" ait ainsi déclenché en écho des choeurs ironiques partout dans Paris en 1749.
    La moquerie s'en prenait pour commencer à Louis XV lui-même et à Mme de Pompadour :

Qu'une bâtarde de catin
À la cour se voie avancée,
Que dans l'amour et dans le vin
Louis cherche une gloire aisée,
Ah ! le voilà, ah ! le voici
Celui qui n'en a nul souci.

    Ensuite la satire procédait en descendant, de la reine (représentée comme une bigote abandonnée par le roi) au dauphin (remarquable pour sa stupidité et son obésité), au frère de la Pompadour (ridicule dans ses tentatives pour se donner l'allure d'un grand seigneur), au maréchal de Saxe (fat se prenant pour Alexandre le Grand alors qu'il n'avait conquis que des places qui n'opposaient aucune résistance), au chancelier (trop sénile pour administrer la justice), aux autres ministres (impuissants ou incompétents) et à divers courtisans (chacun plus stupide ou dissolu que le suivant).
    À mesure que la chanson circulait, les Parisiens modifiaient d'anciens couplets  et en ajoutaient de nouveaux. Ce genre d'improvisation constituait un divertissement populaire dans les tavernes, sur les boulevards et sur les quais où des foules s'assemblaient autour des chanteurs jouant du violon ou de la vielle. La versification était si simple que tout un chacun pouvait insérer une nouvelle paire de rimes dans l'ancienne mélodie et la répandre alentour par la voix ou par l'écrit. Bien que l'ode originelle ait pu venir de la cour, elle ne cessa de gagner en popularité et couvrit un spectre toujours plus vaste de problèmes contemporains en s'étoffant de couplets. Les copies de 1747 ne sont guère plus qu'une moquerie des figures éminentes de Versailles, ainsi que l'indique le titre cité dans les rapports de la police, "Échos de la Cour". Mais, en 1749, les strophes greffées sur les vers originels couvraient toute sorte d'événements du moment  - les négociations de paix à Aix-la-Chapelle, l'administration impopulaire de la police par Berryer, les récentes querelles de Voltaire, le triomphe de son rival, Prosper Jolyot de Crébillon, à la Comédie française, et le cocufiage du fermier général La Popelinière par le maréchal de Richelieu qui avait fait installer une plaque tournante dans la cheminée de la chambre de Mme La Popelinière afin de pouvoir entrer par cette porte secrète pivotante.
    Le processus de diffusion laissa son empreinte sur les textes eux-mêmes. Deux copies de "Qu'une bâtarde de catin" ont survécu dans leur état premier - c'est-à-dire sur des bouts de papiers qui étaient transportés dans les poches afin d'être déclamés dans les cafés, échangés contre d'autres poèmes ou laissés en des endroits stratégiques comme les bancs des jardins des Tuileries. La première copie fut saisie par la police quand elle fouilla Pidansat de Mairoibert à la Bastille après son arrestation pour avoir déclamé des vers contre le roi et Mme de Pompadour dans les cafés. Avec elle, les policiers confisquèrent aussi un bout de papier semblable avec deux couplets d'une chanson qui attaquait la marquise. Ils appartenaient à un cycle d'odes connues sous le nom de Poissonnades parce que les paroles contenaient des jeux de mots infinis sur le nom de jeune fille à consonance vulgaire de la Pompadour, Jeanne-Antoinette Poisson.


(Chapitre X, Une chanson.)



...Car les poissons avalent tout... Comprenez-vous ?