mardi 15 avril 2014

François Villon et la chanson (2)

Boulat Okoudjava - La prière de François Villon

   

 


*
 Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
 *

    Nous commençons à peine et suivons déjà un détour avec cette célèbre chanson de Boulat Okoudjava.
    Okoudjava qui eut à subir quelque peu les rigueurs du régime des Commissaires du Peuple (on se reportera à sa biographie ci-dessous) ne met pas là en musique un texte de Villon. On a même pu entendre dire qu'il faisait référence au poète dans le titre pour mieux déjouer la censure...
     Il n'en est pas moins vrai que l'on se trouve ici non loin du monde de Maître François ( on pense au Frères humains... dont nous avons mis un extrait en exergue).
   De là à penser, en suivant le barde, que l'éternelle Russie, qui fut un temps soviétique, n'est pas encore tout à fait sortie de la féodalité, nous vous laissons juges, aimables lecteurs...

   *
    Nous reproduisons ici une éclairante anecdote de la tenancière de la stengazeta, blogue que nous vous conseillons toujours d'aller voir.

     En 1967, Okoudjava donna un concert à la salle Pleyel. Nous étions toute une bande d'adolescents d'origine russe qui étions venus l'écouter. Une camarade, lors de l'entracte, demanda au chanteur, pourquoi, pour lui, Dieu avait les yeux verts. Il lui répondit avec un plissement malicieux des yeux : "les yeux de ma femme sont verts".

S.P. Struve

*

"Pense à moi un peu" ou "La Prière de François Villon"

traduction : Jean Besson, François Maspero (1983)


Tant que la terre tourne encore, tant que le jour a de l'éclat,
Seigneur, donne à chacun de nous ce qu'il n'a pas :
Donne au sage une tête, un cheval au peureux,
Donne à l'homme heureux de l'argent... et pense à moi un peu.
Tant que la terre tourne encore, Seigneur, elle est en ton pouvoir !
Donne à qui veut régner l'ivresse du pouvoir,
Donne, au moins jusqu'au soir, repos au généreux,
A Caïn le remords... et pense à moi un peu.
Je sais : pour toi tout est possible, et je crois en ton sage esprit,
Comme un soldat mourant croit en ton Paradis,
Comme croit chaque oreille à tes propos de paix,
Comme à soi-même on croit, sans savoir ce qu'on fait !
Seigneur Dieu, mon Seigneur, toi dont l'oeil vert rayonne,
Tant que la terre tourne encore et soi-même s'étonne,
Tant qu'il lui reste encore et du temps et du feu,
Donne à chacun sa part... et pense à moi un peu.




 Boulat OKOUDJAVA  1924 – 1997


    Boulat Chalvovitch Okoudjava (ou Bulat Okudzhava suivant la transcription) est né à Moscou en 1924, d’un père Géorgien et d’une mère Arménienne.
    Il passe une partie de son enfance à Moscou, dans le quartier de l’Arbat, puis part vivre en Géorgie.
    Il s’engage en 1942 dans l’armée, où il sert comme simple soldat. Il est envoyé au front et sera blessé à plusieurs reprises.
    Après la guerre, il part à Tbilissi faire des études, qu’il achève en 1950. Il est ensuite instituteur dans un petit village de la région de Kalouga. Entre-temps, son père est fusillé par les staliniens comme espion japonais, sa mère connaîtra les camps de concentration pendant 18 ans.
Boulat Okoudjava est membre du PCUS de 1955 à 1972, date à laquelle il est exclu de l’Union des écrivains (et donc du PC) pour attitude contraire à l’esprit de parti (partij’nost’) , illustrée par le refus de porter un jugement sur la publication de certaines de ses oeuvres dans la presse occidentale.
    Son premier recueil de poèmes Vers lyriques (Lirika) , paraît en 1956, à Kalouga. Ensuite ses vers sont publiés dans diverses revues Le monde nouveau, L’étendard, Néva, La jeune garde, Jeunesse, et dans des journaux comme La gazette littéraire. Son deuxième recueil de poèmes  Les Iles (Ostrova) est publié à Moscou en 1959. Paraissent ensuite deux autres recueils : Le joyeux tambour (Veselyj barabanscik) en 1964 à Moscou et Mars le magnanime (Mart velikodusnij) en 1967 à Moscou également.
    Il écrit sa première chanson en 1946 lorsqu’il est étudiant à Tbilissi, mais dans les années qui suivent il se consacre à l’écriture de poèmes, dont certains deviendront des chansons. A partir des années 70, il s’intéresse davantage à la prose et écrit des romans historiques, des nouvelles, des récits.
    Il publiera encore quelques recueils de poésies  Arbat, mon Arbat (Arbat moj Arbat) , poésies et chansons 1976, Poèmes (Stihotvorenija) Moscou, 1985 , Les grâces du destin (Milosti sud’by) Moscou, 1993, Tristesses de tous les jours (Zitej) recueil de poèmes écrits entre 1958 et 1994 Moscou, 1995.
    Sa notoriété s’est construite tout d’abord dans une semi-clandestinité, dans les années 60, grâce au samizdat * et au magnizdat **.
    Il a été invité aux Etats Unis, a effectué des tournées en Israël, en Pologne, en Allemagne, en France où il enregistrera un disque en 1968 (ce qui lui sera reproché). Sa notoriété est peu à peu reconnue officiellement et n’y a plus de problèmes à partir de 1985.
    Il a été opéré du coeur aux Etats Unis en 1991.(Il a du surmonter des difficultés financières pour payer son opération, ses nombreux amis l’ont aidé).
    Il a donné un concert à Paris, à l’Unesco, le 25 juin 1995, qui coïncidait avec le cinquantenaire de l’Unesco et de la fin de la guerre.
    On a fêté son jubilé en 1996, 50 ans de chansons, de poésies, de romans (1946 – 1996).
    Bien que possédant un appartement à Moscou, où vivent son fils et sa femme Olja, il passe la plus grande partie de son temps dans le petit village des écrivains de Peredelkino (non loin de Moscou), où il habite une datcha d’Etat. Là, il se consacre à son travail d’écrivain et de poète, mais ne pouvant vivre entièrement de sa plume, il apparaît encore sur scène, pour de courtes durées, car c’est un homme âgé et fatigué.
    Il a souvent composé la musique de ses chansons lui-même, il a parfois fait appel à un compositeur, nommé Schwartz.
    Il meurt à Clamart en 1997.


Biographie réalisée par Jacqueline BOURREL

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Notules de l'herbe

* auto-éditions d'auteurs dissidents, voir ici .
** enregistrements pirates, dupliqués de cassette à cassette.

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Dernière minute

   L' ami George nous a mis sur la piste de la nuit rêvée de Marina Vlady - qui fut la compagne de Vyssotski - au cours de laquelle on pouvait entendre une rediffusion d'une belle émission de 1992, Trois chanteurs dans l'hiver russe.
   Une large part est consacrée à Okoudjava. On pourra aussi entendre parler d'Alexandre Galitch et de ce cher Vyssotski  et en apprendre un peu plus sur les samizdat.







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