mercredi 12 février 2014

Jacques Yonnet et le bon docteur Petiot

Jacques Yonnet dans les années cinquante

Il a a peine été fait allusion à Jacques Yonnet (1915 / 1974) sur ce blogue. Et pourtant, cet essayiste*, critique gastronomique, (dans l'Auvergnat de Paris, excusez du peu) poète, parolier, peintre, auteur de bandes dessinées est avant tout resté célébre pour son unique livre : Rue des Maléfices (paru d'abord sous le titre Enchantements sur Paris) publié en 1954.

Ce bouquin qui narre les mystères, plus ou moins fantaisistes, du Paris de la rive gauche (surtout autour de la Maube) a été salué comme un des meilleurs livres écrit sur la capitale par des amateurs comme Jacques Prévert, Robert Doisneau, Raymond Queneau et j'en passe une belle brochette. Régulièrement réédité, on ne peut que vous en conseiller la lecture.
L'édition espagnole

 Mais ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est comment ce cher Yonnet s'est retrouvé mêlé à l'arrestation d'un des plus beaux artisans du crime de ces pourtant bien fournies années quarante : le docteur Marcel Petiot.
Précisons, en préambule que Yonnet eut des responsabilités relativement importantes dans la Résistance (tout le monde ne se tapait pas des allers-retours Paris / Londres) , fait dont il ne fit pas un fond de commerce par la suite mais seulement quelques allusions dans son ouvrage.
A la même époque, Petiot, originaire d'Auxerre et monté à Paris en 1933 (un résumé de sa biographie là, à l'endroit habituel) se porte acquéreur d'un hôtel particulier qu'il aménage en cabinet médical pourvu d'une ... chambre à gaz (artisan, vous dit-on! ) d'une chaudière et d'une fosse à chaux vive.


 la chambre à gaz du 23 rue Le Sueur
 Le bon Docteur se fera un plaisir de venir en aide aux différentes personnes poursuivies par la Gestapo sous prétexte de les évacuer vers l'Amérique du Sud**.
Bien entendu, les candidats au passage se retrouvaient dissous dans la fosse à Petiot non sans avoir été au préalable dépouillés de l'argent et des bijoux nécessaires au voyage.
Petiot, qui à la base avait ses entrées à la rue Lauriston, (Gestapo française, la sinistre bande à Lafont et Bonny) finit par attirer l'attention des services allemands et se retrouva à son tour arrêté et cuisiné durant huit mois sans se trahir.
C'est cet épisode qui lui permettra de mettre au point sa légende de résistant à la libération. Il deviendra même capitaine FFI sous le pseudo de "Valery".
Or le capitaine Valery avait quelques bonnes raisons de se fondre dans le bordel ambiant de la libération : outre la Gestapo qui avait horreur de la concurrence, il était poursuivi par la Police Judiciaire suite à la découverte, en mars 44, de plusieurs cadavres prêts à cuire par des pompiers alertés par la pestilence de la  maison. Une version rapporte qu'avant de filer, Petiot aurait affirmé à ce moment avoir tenté de faire disparaître nazis et collaborateurs flingués par la Résistance (un comble ! Lui qui gazait des Juifs!) C'est lui-même qui avait attiré l'attention sur son domicile en tentant d'effacer les traces de ses crimes à sa sortie de prison.
A la Suite des pompiers, les flics vont découvrir à son domicile 47 valises, 26 sacs à main, 79 robes,etc. 1760 habits dont un pyjama d'enfant ! Difficille de revendiquer autant de collabos, surtout pris au berceau.
Après qu'un premier commissaire en charge de l'affaire, un certain Massu (sic!) ait été épuré après la libération de Paris, c'est au flic Ferdinand Gollety qu'échoit l'enquête.
Mais Petiot se planquait au sein des FTP, protégé par son grade de capitaine, à la caserne de Reuilly.
Yonnet fera sortir le loup du bois en faisant rejaillir l'affaire par un article du 19 septembre 1944, "Petiot, soldat du Reich". Le tueur en série mégalomanne (comme c'est souvent le cas) publiera un droit de réponse dans le même journal, Résistance. Il sera ainsi localisé et confondu. 
Yonnet bosse alors occasionnellement avec Albert Bouard de la DGER (Direction Générale des Etudes et Recherches, ex BCRA et future DST)  en qualité de grand connaisseur du Paris souterrain, prolongeant ainsi une de ses fonctions dans la Résistance qui consistait à démasquer traitres et infiltrés.
Brouard et Yonnet vont donc interroger Petiot au sujet de ses actes de résistant et celui-ci fournira comme témoins et garants de ses actions un certain nombre de... morts (Brossolette, Charbonneaux...), un réseau (Agir) dont tous les survivants ignoraient ses activités et une grossière erreur en réponse à une question standard à laquelle les connaisseurs devaient donner une formule de reconnaissance.
Notre docteur Mabuse national était confondu.
Jugé au printemps 1946, Petiot passera sur la bascule à Charlot immédiatement après.
 Petiot à son procès

On trouvera ici une archive du procès de l'affreux.
Et une curiosité musicale de Michel Portal, bo de cinéma



Ainsi qu'un extrait du film de 1990 avec un Serrault impérial

"Docteur Petiot" - Michel Serrault par RioBravo

Pour conclure, l'auteur de ces lignes doit démasquer ses intentions : outre partager sa joie  d'avoir enfin trouvé le fin mot du rapport entre les deux personnages du titre, il lance ici un appel aux bonnes volontés.
Yonnet fut l'auteur de nombreuses chansons (dont on a ici un aperçu
Mais où les trouve-t-on interpétées ? Et par qui ? Merci d'avance...

Le détail de cet article est tiré du livre de David King, Death in the City of Light : The Serial Killer of Nazi-Occupied Paris, Kindle, 2011.

* Jacques Yonnet fut aussi l'auteur, avec ses amis Robert Giraud, Dignimont et Robert Doisneau, de nombreux canulars. Le 1er avril 1946, ce fut celui de la « Fabrique des Enfants rouges », reportage bidonné dans lequel Yonnet racontait que les communistes français séquestraient des orphelins pauvres dans un camp pour leur inculquer le marxisme.

** Curieusement, il inspira le personnage d'un film britannique de 1957 "Seven thunders in Marseille" dans lequel le "Petiot marseillais" est interprété par James Robertson Justice.

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