dimanche 3 novembre 2013

Java ?


Le Bal des Quatre-saisons, rue de Lappe, vers 1932, par Brassaï.

    "Qu'est-ce que la java, cette quintessence du populo de Paris ? Dans Du bouge... au Conservatoire, Louis Péguri se moque des alphonses, de ces messieurs les souteneurs qui, après quelques tours de valse, le naturel reprenant le dessus, se refusaient à tout effort supplémentaire au grand dam de ces dames... Le patron du Rat mort à Pigalle, que Péguri ne cite pas, avait remarqué que la clientèle féminine prisait fort la mazurka Rosina *, que les habitués valsaient à petits pas entrecoupés. Aussi, dès que les ardeurs faiblissaient, le taulier réclamait Rosina à l'orchestre et, accent de là-bas à l'appui, demandait : "Alors cha va ? cha va?" Et, un beau matin, Paris apprit qu'une nouvelle danse était née, "une danse qui tenait de la valse mais avec un pas plus crapuleux, plus canaille.- Cha va! Cha va !.. Ainsi naquit d'une déformation du parler auvergnat le fameux pas de java". Une fois encore on se rend compte du goût prononcé de Louis Péguri pour le mythe.
   L'origine du  mot java est-elle réductible à cette historiette ? Au hasard d'une chanson écrite plus tard pour Fréhel, Soi-même java, Francis Carco semble apporter de l'eau au moulin de Péguri :

 "Quand l' gros Gégèn'
Soi-même
S'amène au bal musette
A petits pas il danse la java
Et tout's les poul's
Comm' saoul's
Lui riboul'nt des mirettes
Mais question de plat il leur répond
Ça va ! va ! va ! va!"



Bref ! A défaut d'autre explication, tous s'en contentent. Dans Images secrètes de Paris, en 1928, Pierre Mac Orlan consacre un beau chapitre à la java. Sur l'origine du mot, lui aussi n'avance qu'une hypothèse : "Cette danse fut consacrée par ceux que l'on appelait encore, il n'y a pas si longtemps, les apaches. Elle doit être un hommage à cet argot puéril que l'on nomme le javanais et qui n'est plus parlé que par des crétins incurables [sic!]." On le comprend, personne n'est en mesure de dire pourquoi la java s'appelle java. Il y a quelques années à Chamonix, un musicien d'origine rom avait une clé : dans une langue rom, dchjava est l'impératif d'un verbe signifiant aller. Donc "java" serait la transposition de dchjava, à savoir "vas-y". Pourquoi pas, d'autant que, dans Ils ont dansé le Rififi-Mémoires, Auguste Le Breton l'affirme : jadis, avec les Espagnols, les gitans étaient "les plus fins gambilleurs de la capitale."
    Sur cette danse, Péguri ajoute pourtant, sans rien apporter de précis : "Quant à sa dénomination elle peut être aussi une conséquence du retour à Paris de certains trafiquants de la route de Buenos-Ayres (sic), ayant ramené le pas glissé du tango Milonga qui a un certain rapport avec la marche glissée du pas de la java primitive, en réalité une valse au ralenti et à mouvement décomposé. Par évolution, la vraie java est devenue une valse musette et la vieille mazurka des faubourgs comme Rosina est restée cette vraie java dont Maurice Yvain a écrit musicalement le prototype avec Une petite belotte (sic) [...]Le succès de ce pas nouveau est extraordinaire. On danse la java même dans le grand monde." Incorrigible Louis Péguri et ses idées de grandeur !... Cela étant, Philippe Krumm me le confirme, la java est bien une mazurka massacrée. Après la guerre, Carco voyait en elle une "mazurka faite d'emprunts à toutes les danses" et la comparait à la belote qui, à l'image de la java sa contemporaine, "se complique de manille, de poker et d'inventions déterminées". La petite belote** d'Yvain, belote et java associées, est une photographie parfaite d'un certain Paris des années vingt. Mais attention, André Warnod l'a attesté au Bal des Gravilliers, la java date d'avant 1914 !

Claude Dubois, La Bastoche, Une histoire du Paris populaire et criminel.





  
   Concernant Claude Dubois, on pourra écouter ci dessous sa Nuit rêvée où l'on trouvera notamment une séquence sur le Balajo avec Francis Lemarque et Jo Privat en invités. Un grand merci à George qui nous a retrouvé cette archive.



  Concernant Philippe Krumm, spécialiste de l'histoire de l'accordéon, cité dans le texte de Dubois, nous vous conseillons vivement d'aller consulter son papier très fouillé (et richement illustré) sur les bals musettes et la rue de Lappe. C'est ici .




* Pour ce faire une idée de cette mazurka, un extrait par un groupe italien


** Le morceau en question, par Mistinguett






5 commentaires:

  1. Merci à toi, camarade Elliott, pour ce bath billet !

    Dans la "Nuit rêvée de Claude Dubois", la séquence consacrée au Balajo est la dernière et dure 90 mn, : ça commence au bout de la quatrième heure.

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    1. Je t'avais envoyé un mail, camarade George, je ne sais si tu l'as vu...

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  2. Caramba !
    Ben non, le dernier truc que j'ai lu de toi c'était sur mon blogue pourri, à propos du Bestiaire de Dimey…
    Ah là là, les limbes de la Toile !…

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  3. l'émission n'est plus en etat d'être écouté pourquoi?

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