samedi 12 octobre 2013

Le Bestiaire de Paris

    Le Bestiaire de Paris *, long poème en alexandrins de Bernard Dimey, est sans doute une des oeuvres les plus ambitieuses du chansonnier. Il en existe deux versions.

    La première fut enregistrée en 1962 et interprétée par Juliette Greco et Pierre Brasseur (il faudra attendre 1995 pour que ce chef d'oeuvre soit enfin édité !). La seconde le fut en 1974 avec Marcel Mouloudji, Magali Noël et Dimey lui même comme récitants. La musique est de Francis Lai (le fameux futur compositeur de musique de films) qui, tout juste débarqué de Nice et louant un appartement  au-dessus du Pichet du tertre, s'était lié d'amitié avec Dimey. Dimey s'était fixé au Pichet** en 1958 (comme il se fixera plus tard, pas bien loin de là, au Gerpil, voir ici) quelques temps après sa "montée" à Paris (le bougre venait de Haute-Marne et avait vivoté quelques temps à Troyes).

   Le Pichet géré par un certain Oberto Attilio fait déjà figure de relief de la grande tradition cabaretière montmartroise, sur une butte déjà salement carte-postalisée. L'endroit fait à la fois office de galerie de peinture et de cabaret accueillant les jeunes premiers :  le lieu devînt incontournable et on pouvait y croiser entre autres :  Brel, Mouloudji, Monique Morelli, Cora Vaucaire, Nougaro, Pierre Barouh, René-Louis Lafforgue, Catherine Sauvage, Guy Béart, Aznavour, Michel Simon, Serrault et Poiret, Jean Yanne...!!
  

Greco et l'artiste en jeune homme imberbe      
    
    On pourra écouter avec profit  ici   la version quelque peu sarcastique que Dimey donne de l'émulation artistique qui régnait dans la fameuse (fumeuse ?)  taverne...                                           
    Dimey et Lai composèrent des dizaines d'autres chansons au Pichet : " Bernard avait une faculté d’écrire à une vitesse incroyable. Au Pichet on a passé des nuits invraisemblables pendant lesquelles le challenge était d’écrire le plus de chansons possibles..." ***
                                      
Mais revenons au Bestiaire... 
                                                                                     
    " Le Bestiaire, se souvient Francis Lai, c’était notre récréation au Pichet, on se mettait au fond dans une petite salle réservée pour nous ; et, là, tous les soirs Bernard Dimey déclamait ses quatrains sur Paris ; je jouais derrière, improvisant la plupart du temps ; le Bestiaire est né comme ça au fur et à mesure."
" Au bout de deux ou trois mois, confie Francis Lai, il y avait une musique qui s’était composée par l’improvisation mais qui collait au texte. " 


     Quant à  Dimey, il  se rappelait : " À l’origine, le Bestiaire devait être un livre orné de gravures d’un peintre aux dons éblouissants, Jean-Claude Dragomir. Hélas, il n’a pas su m’attendre ; il est allé s’éclater la tête sur une route de banlieue. J’ai su que notre livre ne se ferait jamais ; alors le soir à Montmartre entre deux verres, j’en disais de longs extraits à mes amis du Pichet du tertre ou d’ailleurs… Francis Lai prenait un accordéon et m’accompagnait « à la feuille » laissant glisser sa mélodie sous les mots avec le génie subtil qu’il détient sans le savoir ".                                                             Rue Saint-Vincent par Dragomir.

    Le Bestiaire**** brasse déjà les thèmes de prédilection de Dimey : le monde interlope de la nuit, sa voyoucratie, l'alcool et les débits de boisson, les prostituées et les travelos, la religion, la mort, et par dessus tout la disparition d'un certain monde et la dérive dans ces ruines.
    Mais trêve de palabre, quand on a rien à dire...
    Voici les deux versions du Bestiaire. Quant à nous, nous avons une petite préférence pour la version Brasseur/Gréco qui sonne plus sépulcrale encore...










* Ce texte n'est que la synthèse des belles recherches effectuées par Francis Couvreux accompagnant le disque  Bernard Dimey et ses premiers interprètes (1959-1961), publié chez Frémeaux et associés. Même s'il n'est pas dans l'habitude de ce site de renvoyer vers des liens commerciaux, on ne peut être qu'espanté par le travail effectué par Frémeaux... leur catalogue est insondable.
    
** C'est ce même Pichet qu'un groupuscule néo-fasciste aidé de commerçants du quartier tenta de "sauver" d'une transformation annoncée. L'enseigne de fast food Starbuck avait en effet jeté son dévolu sur l'endroit. Les médias nationaux se firent largement l'écho de cette brillante initiative; on se demande bien pourquoi...
    Bien évidemment, ces gens-là ne voit pas que l'identité qu'ils défendent n'existe plus depuis bien longtemps déjà et que Montmartre comme l'idée qu'ils se font du populo parisien n'est plus qu'une coquille vide. On ne doute pas que ce qui se servait dans feu ce Pichet devait être la même piquette mondialisée que n'importe où, quelle que soit l'enseigne... 
   Bien sûr , ces tarés accusent le cosmopolitisme, concept vague et creux mais bel et bien raciste.  Il ne leur viendra jamais à l'esprit que ce qui a tué l'âme de Paris (car oui il y en avait une, comme des campagnes françaises par ailleurs...) ce sont peut-être au hasard et entre autres choses, la place nette faite aux voitures, la vogue du tourisme, l'urbanisme et les diverses politiques de la ville qui ont littéralement vidé Paris de ses habitants pour les parquer à la marge, dans des clapiers. 
    Bon, ça a toujours été une caractéristique du fascisme de brandir des symboles plutôt que de parler de la réalité. Laissons là ces imbéciles.

*** Interview de Francis Lai par Francis Couvreux.

**** Des bestiaires à proprement parler, on en trouve à foison dans l'oeuvre de Dimey. On pense notamment au Bestiaire d'autre part dans Sable et Cendre (éditions Christian Pirot). Ou en musique,  à L'hippopotame, à Je ressemble aux poissons... et au Zoo interprété ici par Jehan  sur l'album Divin Dimey.







2 commentaires:

  1. Merci pour ce partage, chers amis !
    Dire que je ne connaissais même pas l'existence de ce Bestiaire

    Le dix mai nous est cher pour bien des raisons !

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